SortieUne collection de BD tirées des romans de Georges Simenon
John, le fils de l’écrivain, a lancé l’adaptation des livres dans lesquels ne figure pas le commissaire Maigret. Cela démarre fort avec «Le Passager du Polarlys».
- par
- Michel Pralong
John Simenon, fils du grand écrivain Georges Simenon, rêvait depuis longtemps de transposer les romans de son père en BD, comme le cinéma l’a déjà énormément fait. Mais il n’avait pas trouvé le déclic. «Ma conception de l’adaptation, c’est une rencontre entre l’inspiration et des individualités». Il lui fallait donc plutôt monter une équipe, afin d’avoir une ligne éditoriale. C’est en lisant «De l’autre côté de la frontière», dessiné par Berthet et scénarisé par Jean-Luc Fromental en 2020, que John Simenon trouve ce qu’il cherchait.
«Ce récit était truffé de clins d’œil à Simenon; les personnages, ce sont des doubles de mon père, de ma mère, de mon frère. Toute l’histoire ressemblait à celles de mon père. J’ai donc contacté Jean-Luc». John Simenon aurait pu gagner du temps car Fromental lui parle d’un autre passionné de Simenon, le scénariste José-Louis Bocquet… que John connaît depuis 30 ans.
Les romans «durs»
Les trois se mettent d’accord: la collection qu’ils lancent va adapter les romans «durs» de Simenon. Le terme ne fait pas référence à leur contenu, mais à leur création, qui était bien plus difficile pour l’écrivain que les Maigret. Ces livres, signés depuis 1929 du vrai nom de Georges Simenon, sont au nombre de 113. «Ce sont des histoires plus noires, plus psychologiques, qui conviennent bien à la BD». Car il ne s’agissait pas de créer une série, mais une collection de «one shot», avec alternativement Bocquet et Fromental au scénario et à chaque fois un dessinateur différent.
«Il faut que le scénariste et le dessinateur aient chacun envie de s’approprier le livre, explique José-Louis Bocquet. Nous sommes pour l’instant partis sur des récits qui ne se passent ni en France, ni en Belgique. Les romans «exotiques», pourrait-on dire.» Et exotisme ne rime pas forcément avec tropiques, puisque le livre qui ouvre la collection se déroule le long des côtes de Norvège, c’est «Le Passager du Polarlys».
«Cailleaux fait tanguer les images»
«Quand je pense bateau, je pense Christian Cailleaux dit Bocquet. C’est le seul capable de faire tanguer des images». Il est vrai que le dessinateur, grand voyageur lui-même, a notamment travaillé avec un autre grand marin, le regretté acteur Bernard Giraudeau («Les longues traversées» et «R97 Les hommes à terre»).
«De Simenon, je n’en connaissais que les adaptations télé et en lisant le roman j’ai découvert une écriture incroyable, au scalpel, qui m’a d’ailleurs fait penser à celle de Giraudeau, témoigne Christian Cailleaux. On gratte l’humain». Le défi de cette collection, c’est de retranscrire en BD cette écriture, avare en descriptions, mais si riche en atmosphères.
«Il faut mettre le livre à plat, aller jusqu’à l’os, pour garder une histoire linéaire, explique Bocquet, en faisant attention à ne pas avoir de scènes qui se répètent et aux contradictions du roman». «Ensuite, à moi de le mettre en scène et j’ai une grande liberté vu le peu de descriptions des lieux et des personnages, dit Cailleaux. C’est là que le bateau, qui existe et sur lequel Simenon a voyagé, prend toute son importance. C’est un condensé d’humanité qui se trouve à bord et le navire est un personnage lui-même».
Car contrairement à «Mort sur le Nil» d’Agatha Christie, où l’intrigue policière l’emporte sur le bateau et l’atmosphère, là c’est le Polarlys et les relations entre les personnages qui font tout le sel de l’histoire. Un passager que personne ne connaît a disparu, un policier monté à bord sur le tard est à la recherche d’un assassin et la troublante Katia Storm fait tourner bien des têtes.
L’héroïne est une femme moderne
«Elle a un caractère très actuel, près de 100 ans après l’écriture du roman, estime John Simenon. C’est une femme moderne pour l’époque, comme l’était Tigy, l’épouse de mon père dans les années 1920. Katia Storm joue avec les hommes, mais c’est pour se sauver elle-même, pour ne pas être une proie comme tant d’autres l’étaient».
Cailleaux met parfaitement en scène et en lumières ce polar. Il a dessiné à la mine de crayon gras noir et à l’estompe, donnant de la matière et du relief à son dessin. «Puis reste les teintes en couleur à l’ordinateur, pour donner l’ambiance». C’est très beau et cela lance parfaitement cette collection dont on sait déjà que chaque album devrait être de qualité.
La collection devrait (du moins dans un premier temps), compter 8 titres, à raison de deux par an. Le suivant, en août 2023, sera «La neige était sale», scénarisé par Fromental et dessiné par Yslaire («Sambre»). L’an prochain, ce sera «Barrio Negro» dessiné par Javi Rey et «Les clients d’Avrenos», dessinés par Laureline Mattiusi. Cet automne 2023, alors que l’on fête le 120e anniversaire de la naissance de Georges Simenon, il y aura en plus «Simenon, l’Ostrogoth», racontant les années 1920 vécues par Simenon et Tigy. Tour de force, John Simenon est parvenu à convaincre Loustal de se remettre à la BD pour ce projet.
«Quel que soit le futur de cette collection, on aura mis au point un standard pour les adaptations des romans durs de Simenon», dit John. On attend avec impatience le mois d’août.