Qatar 2022«Si tu poses une mauvaise question, je t’en mets une»
Après la débâcle contre le Portugal (6-1), Granit Xhaka et les autres oscillaient entre colère, tristesse et envie de s’excuser. Récit d’une zone mixte musclée.
- par
- Simon Meier Doha
Il est 1h21 du matin dans les entrailles du stade Lusail, soit près d’une heure et demie après la boucherie subie par l’équipe de Suisse face au Portugal (6-1). Granit Xhaka traverse ladite zone mixte, évidemment pas en joie. On l’alpague avec tout le tact possible. «Granit, vous avez deux minutes?» Réponse du capitaine, le ton ferme pour ne pas dire plus, les yeux dans les yeux: «Si tu me poses une bonne question, je te parle. Si tu poses une mauvaise question, je t’en mets une. Alors…»
Un silence de trois secondes s’écoule, une éternité dans nos tout petits souliers. Dans ces cas-là, tous les entraîneurs du monde vous le diront, il faut jouer simple, dans les pieds. Alors on ose un très neutre: «Quel est votre premier sentiment?» «Quel peut bien être le sentiment? Mauvais, rétorque Granit Xhaka dans un style télégraphique. Perdu 6-1. Beaucoup de choses n’ont pas marché. Il n’y a pas d’explication. Nous nous sommes bien préparés et nous étions convaincus de pouvoir poser des problèmes au Portugal. Malheureusement, on n’a pas su le faire. Ça fait mal.»
Relancé par un collègue à propos du très étonnant 3-5-2 concocté par le sélectionneur Murat Yakin, Granit Xhaka balaie le débat tactique: «Le problème, ça n’était pas le système. On peut jouer à dix derrière, mais quand on ne défend pas, quand on ne court pas, quand on perd les duels et quand on n’est pas sur les deuxièmes ballons, quand on est si loin les uns des autres… On prend les deux premiers buts suite à une touche et sur un corner. À ce niveau, en huitième de finale de la Coupe du monde, on n’a pas le droit, ça ne doit pas arriver. C’est arrivé. On rentre à la maison.»
Une bonne demi-heure plus tôt, Xherdan Shaqiri, qui a raté tout ce qu’il a entrepris mardi soir, s’était montré moins clément à propos du dispositif choisi par le coach: «Les plans ont été modifiés (ndlr: suite aux défections de Silvan Widmer et Nico Elvedi) et malheureusement, cela n’a pas fonctionné, a constaté «XS» sans en rajouter, ni masquer une forme d’incompréhension. Je suis un joueur professionnel, donc je fais ce que l’entraîneur me dit de faire. Mais c’est vrai que cet alignement tactique a constitué une surprise.» Relancé sur la question du soir après avoir tenu à présenter ses excuses au nom de l’équipe, le joueur du Chicago Fire n’a pas développé: «Quand l’entraîneur nous dit de jouer de telle manière, on le fait, c’est tout.»
Après la débâcle, naturellement, il y a comme une tension dans l’air, beaucoup de questions dans les regards. De la colère aussi, plus ou moins palpable ou rentrée. Haris Seferovic, l’œil noir et les mâchoires serrées: «L’entraîneur, c’est l’entraîneur. Il choisit la tactique et voilà, déclare l’attaquant, qui ne joue presque pas à Galatasaray, entré à la 54e minute, juste avant le 4-0 portugais. Que puis-je dire de plus? On n’a pas assez bien joué et on a été sévèrement punis. A 2-0 à la mi-temps, on était encore positifs, on pensait que c’était possible de revenir. Mais on prend ce troisième but et, à partir de là, c’était dur d’y croire encore.»
Denis Zakaria a fait son apparition au même moment, alors que tout semblait perdu. La gorge nouée autant par l’échec collectif que par la frustration personnelle, le Genevois de Chelsea ne mâche pas ses mots: «On n’a malheureusement pas su être à la hauteur de l’événement et face au Portugal, tu le paies cash. On sait qu’on n’a pas été là.» Son tournoi, durant lequel il n’a jamais reçu sa chance? «Très difficile de voir du positif. Ça a été très dur pour moi et honnêtement, je m’attendais à plus. Voilà, on va serrer les dents.» Le 3-5-2 de Murat Yakin? «On a essayé quelque chose et ça n’a pas marché, c’est la vie. Mais la tactique mise à part, on n’a pas été bons. Parce que même avec une mauvaise tactique, si tu es bon sur le terrain, tu n’en prends pas six. Il va falloir en tirer les leçons.»
Ça va gamberger pas mal, dans les prochains jours. Ce mercredi après-midi, le sélectionneur Murat Yakin, le directeur des équipes nationales Pierluigi Tami et peut-être Dominique Blanc, président de l’ASF, viendront livrer leur analyse après une nuit de sommeil - hâchée sans doute. Fabian Schär, lui aussi diminué et cela s’est trop vu, traverse la zone mixte comme un fantôme, emmitouflé dans son survêt’. Peu avant, le milieu de terrain Remo Freuler avait lui aussi bredouillé quelques «excuses aux supporters qui étaient devant leur télévision».
Pierluigi Tami a quant à lui évoqué sa «tristesse pour les joueurs et le staff». Le dirigeant préfère insister sur la fraîcheur plus grande des Portugais, qui avaient pu ménager huit titulaires lors de leur troisième match de poule et qui ont couru dix kilomètres de plus que les Suisses, mardi soir.
«C’est très lourd, ça fait mal, mais il faut féliciter l’adversaire, qui a été meilleur sur toute la ligne», lâche le Tessinois. La fameuse «stratégie» du sélectionneur? «On a fait trois matches avec un système de jeu et là, il a fallu trouver un plan dont on pensait qu’il aiderait les joueurs qui étaient un peu en difficulté physique. Je ne sais pas s’ils ont été surpris.»
Le gardien Yann Sommer, qui n’a pas échappé au naufrage, explique que Murat Yakin a pris ses décisions après avoir consulté les cadres de l’effectif: «Avec les absents, c’était important de trouver des solutions, dit le portier de Mönchengladbach. Avec le coach, on en a parlé ensemble et oui, bien sûr, on a pu donner notre avis. C’est ce qu’il y a de bien, avec ce coach, il écoute les autres.»
Granit Xhaka n’a pas l’air au courant, lorsqu’on le branche sur la question: «Si Yann a dit ça, alors c’est comme ça», botte en touche le capitaine helvétique. On aura donc échappé - avec soulagement - à sa potentielle mandale. Il n’en reste pas moins que le fiasco de Doha en huitième de finale de la Coupe du monde, après une bonne première phase, laissera des traces dans les têtes et dans le vestiaire.