Srettha Thavisin, l’entrepreneur et Premier ministre thaïlandais

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ThaïlandeSrettha Thavisin, l’entrepreneur devenu Premier ministre

Le magnat de l’immobilier a accédé au pouvoir, en partie grâce à une alliance avec l’armée. Cette relation pourrait mettre en péril sa promesse de réformer la Constitution. 

Cette élection pourrait débloquer le paysage politique thaïlandais paralysé depuis des mois.

Cette élection pourrait débloquer le paysage politique thaïlandais paralysé depuis des mois. 

REUTERS

Le magnat de l’immobilier, Srettha Thavisin, est devenu mardi le nouveau Premier ministre de la Thaïlande grâce au soutien de l’armée, un allié encombrant pour ce novice en politique, dont le profil d’entrepreneur le rapproche du clivant Thaksin Shinawatra. Le caractère consensuel de Srettha Thavisin, issu du mouvement d’opposition Pheu Thai mais jugé ouvert vis-à-vis de la monarchie et des généraux, pourrait sortir le royaume des incertitudes qui le paralysent depuis des mois.

Les Thaïlandais ont infligé une défaite cinglante aux militaires qui gouvernent depuis près de dix ans, lors des législatives du 14 mai, mais le camp conservateur a contenu l’ampleur de l’alternance, par le truchement d’une Constitution qui défend ses intérêts. Srettha Thavisin a réussi à surmonter le blocage du Sénat fidèle au pouvoir sortant, au prix d’une coalition controversée avec l’armée qui, par deux fois, en 2006 et 2014, a contribué à renverser un gouvernement Pheu Thai, démocratiquement élu.

Vainqueur des élections, le parti réformiste Move Forward a préféré rejoindre l’opposition plutôt que de saisir la main tendue de son ancien partenaire, dans un royaume réputé pour son instabilité politique et ses coalitions qui peuvent brasser très large. Srettha a promis de mener un programme ambitieux sur le plan économique, mettant en avant ses succès à la tête du géant immobilier Sansiri pour rétablir un pays qui stagne depuis la pandémie. Manque de réformes structurelles et fortes inégalités plombent l’économie de la Thaïlande, qui affiche une croissance inférieure à ses concurrents indonésiens ou vietnamiens.

Les inégalités, «l’ennemi»

«Je voudrais réitérer que mon ennemi est la pauvreté et l’inégalité. Mon objectif est d’améliorer la vie de chaque Thaïlandais», a déclaré l’homme d’affaires dans un message vidéo sur Facebook, vendredi dernier. Il a toutefois dû se défendre ces derniers jours d’accusations de corruption. Son profil rappelle celui de son mentor, le milliardaire Thaksin Shinawatra, Premier ministre entre 2001 et 2006 jusqu’à un coup d’Etat, qui promettait de gérer le pays «comme une entreprise».

Comme un clin d’œil de l’Histoire, Thaksin est revenu en Thaïlande après plus de quinze ans d’un exil auto-imposé pour échapper à des poursuites judiciaires, le même jour que l’accession au pouvoir de Srettha. Comment prendre la lumière derrière ce personnage clivant, qui polarise la vie politique thaïlandaise depuis plus de vingt ans ? Ces derniers mois, Srettha a tenté de se faire une place sur la scène politique, bien aidé par sa grande carrure d’1m90. Il a fait campagne aux côtés de Paetongtarn Shinawatra, la fille de Thaksin qui, elle aussi, postulait pour devenir Premier ministre. Mais la jeune femme, dont il s’agissait également de la première élection comme candidate, était jugée moins prête que l’homme d’affaires.

La monarchie reste intouchable

«Paetongtarn vient d’avoir un bébé, elle est jeune... Srettha est le principal candidat, même s’il n’est pas très convaincant et qu’il n’a pas de base au sein du parti», a déclaré l’analyste politique Thitinan Pongsudhirak. Ce fan du club de foot de Liverpool, éduqué en partie aux Etats-Unis, s’est montré actif sur les réseaux sociaux pour s’attirer la sympathie des jeunes générations, tout en jouant sur l’image branchée et novatrice que recherche son entreprise.

Depuis ses récents débuts en politique, Srettha a évoqué les questions liées à l’éducation, aux droits LGBT+, à l’environnement et aux inégalités sociales en Thaïlande, parmi les plus élevées en Asie. Mais il a pris le soin d’éviter l’épineuse question de la lèse-majesté, sévèrement punie en Thaïlande, où le roi Maha Vajiralongkorn jouit d’un statut intouchable, se contentant d’appeler à éviter les tensions.

Move Forward s’est cassé les dents sur le sujet. Son projet phare de réformer la diffamation royale a torpillé son ambition d’accéder au pouvoir, les sénateurs nommés par l’armée accusant le parti d’être antipatriotique. Pheu Thai a, par contre, fait campagne pour réécrire la Constitution de 2017, rédigée par la junte de l’époque. Une promesse plus que jamais remise en question, après son pacte avec des partis pro-armée qui lui ont permis de ravir le poste de Premier ministre.

Grâce royale?

En s’alliant avec son ancien adversaire, le parti Pheu Thai espère un geste de l’establishment pour la libération de Thaksin, dont l’état de santé nécessite une surveillance médicale, et pourrait revoir ses plans si rien n’était fait pour l’ancien dirigeant. «Si le roi ne gracie pas Thaksin dans un certain délai, Pheu Thai pourrait commencer à s’interroger sur la coalition qu’ils auraient rejointe sur des fausses promesses», a expliqué le politologue Aaron Connelly.

Une demande de grâce royale prend un à deux mois, a détaillé un responsable de l’administration pénitentiaire. Détenu à l’isolement dans une cellule d’une prison de Bangkok, Thaksin pourra recevoir la visite de sa famille après cinq jours.

(AFP)

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