SéismeUn sauveteur suisse en Turquie: «Les chiens, ce sont eux les vrais héros!»
Le Suisse Eric Renauld fait partie des premiers sauveteurs helvétiques partis pour aider la population. Il raconte au matin.ch cette expérience hors du commun, au milieu d’un pays ravagé par le tremblement de terre.
- par
- Laurent Siebenmann
Le 6 février dernier, la Turquie et la Syrie subissaient les effets d’un puissant tremblement de terre de magnitude 7,8 faisant environ 40’000 morts. Très vite, notre pays réagissait, afin d’aider la population turque, dévastée. Une équipe de la Chaîne suisse de sauvetage composée de 87 personnes se rendait sur place, dans les heures suivant le séisme.
Parmi ces courageux sauveteurs helvétiques se trouvait Eric Renauld, 50 ans, sapeur-pompier professionnel à l’aéroport de Genève. Rentré au début de cette semaine, cet habitant de Founex (VD) s’est confié au matin.ch. Il raconte cette expérience hors du commun, dans les décombres de la ville d’Hatay, au sud de la Turquie, non loin de la frontière syrienne.
Comment et pourquoi avez-vous décidé de rejoindre la Chaîne suisse de sauvetage et de vous porter au secours de la Turquie?
J’en fais partie depuis 1995. C’est via l’armée suisse et les troupes de sauvetage dont je faisais partie que j’ai intégré le corps humanitaire suisse. Tout cela se fait, naturellement, sur une base volontaire. Là, c’était ma cinquième mission.
Le 6 février dernier, vous êtes donc parti pour la Turquie.
À 5 h du matin, j’ai reçu un SMS me demandant si j’étais disponible pour partir là-bas. C’est une manière pour la Suisse d’évaluer l’effectif qu’elle peut engager. À 11 h 45, je recevais la confirmation de mon départ. À 17 h 30, je devais être présent à la base de la Rega, à l’aéroport de Zurich. Ça m’a juste laissé le temps de me préparer. Comme j’ai mon paquetage à la maison, ça ne m’a posé aucun problème.
Quelle a été votre première réaction, vos premiers sentiments, lorsque vous êtes arrivé là-bas?
Sur place, on ne sait jamais à quoi s’attendre… Là, j’ai été frappé par l’ampleur des dégâts. Hatay était entièrement détruite. Les bouts de bâtiments encore debout étaient instables. Il y avait régulièrement des répliques du séisme… Le 100% de la population était dans la rue, se fabriquait des abris de fortune sur les trottoirs. Évidemment, les gens n’osaient pas rentrer chez eux.
N’y a-t-il pas eu, face à ce spectacle de désolation, un moment de découragement?
Non, au contraire, nous n’attendions qu’une chose: aider les gens sous les décombres. On était là pour réussir, pour donner le meilleur de nous-mêmes. Au fond, c’était une mission très positive et motivante. La Suisse a sauvé onze personnes des gravats, dont deux bébés, là-bas. C’est quelque chose! Imaginez-vous que ça représente environ vingt heures de travail par victime libérée. Heureusement que nous étions une équipe très soudée.
Mais comment vous êtes-vous repérés sur place, pour connaître les lieux, savoir où se trouvent les personnes prisonnières des gravats?
Une équipe suisse était partie juste avant nous pour repérer les lieux Elle était composée notamment d’ingénieurs et de maîtres-chiens. Les chiens, ce sont eux les vrais héros! Ils repèrent les gens prisonniers des décombres et parfois se blessent…
Combien de temps êtes-vous resté sur place?
Une semaine.
Vous l’évoquiez, c’est un travail intensif. Comment gériez-vous la fatigue?
Nous tournions à deux équipes qui travaillaient en alternance douze heures chacune. Mais il y a une telle motivation que nous ne pensions pas à la fatigue. Quand il y a une vie au bout de tous ces efforts, c’est difficile d’arrêter. Le cerveau se met en configuration survie. On y va, sans relâche. Ou presque, car il faut évidemment se reposer. Ce qui n’est pas facile, au milieu du bruit ambiant. On pouvait se détendre un peu dans le «village» que l’équipe avait établi. On y trouvait notamment un centre de communication, l’état-major mais aussi un hôpital, des toilettes, de quoi se laver. Dans ces conditions, c’est important.
Quel a été le contact avec les familles et les proches des gens prisonniers des décombres?
Un très bon contact car, pour eux, nous étions ceux qui allaient tout tenter pour sauver leurs proches. Certaines familles étaient sur les décombres, pour nous indiquer parfois où se trouvait quelqu’un d’enseveli. Nous leur demandions ensuite de nous laisser travailler de manière autonome et sécurisée, de quitter les lieux. Elles le comprenaient très bien et faisaient tout ce qu’elles pouvaient pour que ça se passe au mieux.
Comment gère-t-on les émotions forcément intenses que l’on ressent en pareille situation?
Nous avions des médecins pour nous aider et des groupes de discussions avec des psychologues. Vous savez, dans ce genre de mission, on peut passer en cinq minutes du meilleur au pire. Les émotions en dents de scie sont difficiles à gérer. Par exemple, vous vivez un moment intense et positif, au moment où vous sortez une victime vivante des gravats et que les familles vous applaudissent. Vous mettez la personne dans une ambulance, vous vous retournez… et là vous voyez à nouveau les décombres, en sachant qu’il s’y trouve encore plein de gens prisonniers, avec les familles qui comptent sur vous. Cette réalité vous percute, une fois encore. Mais vous repartez au charbon immédiatement, avec la même motivation!
Avez-vous reçu des nouvelles de ces gens que vous avez sauvés?
On a reçu quelques nouvelles. Mais il faut faire attention à ne pas s’attacher, ne pas s’investir émotionnellement. Heureusement, grâce à mon activité de sapeur-pompier, j’ai appris à ne pas le faire. Sinon, vous ne tenez pas le coup.
Comment s’est passé votre retour en Suisse?
C’est difficile de rentrer, après une expérience aussi forte. On a envie de rester, de continuer à aider, à sauver des gens. Sans compter que le lien avec l’équipe est fort. Et puis, on se quitte… Mais, ce qui fait du bien au moral, c’est de savoir que l’on n’abandonne pas toutes ces familles. Une autre équipe a pris le relais, c’est super important. Ensuite, de retour en Suisse, il faut assez vite reprendre une vie normale, avec ses activités habituelles, ses petits soucis du quotidien.
Comment gérez-vous et digérez-vous cette expérience, aujourd’hui?
Très bien. Grâce à la profession que j’exerce, j’ai appris à gérer les moments durs. J’ai de l’expérience. Et puis, en repensant à cette semaine en Turquie, j’ai le sentiment du devoir accompli. C’est important aussi.
Qu’est-ce que cette expérience a changé en vous?
Je ne pense pas qu’elle ait changé quelque chose en moi… Mais peut-être que j’apprécie encore plus la chance que nous avons de vivre en Suisse. On voit les choses différemment, forcément.
Continuez-vous à suivre l’actualité autour du séisme en Turquie et Syrie?
Oui, ça m’intéresse de savoir ce que les équipes font sur place, comment vont se dérouler les phases suivantes. Par exemple, la gestion des épidémies.
Repartiriez-vous, si on vous mobilisait dans les semaines à venir?
(Il rit) J’aimerais bien bénéficier de quelques mois de tranquillité, avant une éventuelle autre mission. Mais oui, je repartirais.