TélévisionUn Vaudois aux commandes d’un vaisseau «Star Trek»!
Dominique Rossier réalise son rêve d’enfant à 58 ans en «designant» les écrans de contrôle du vaisseau vedette de la série d’animation «Star Trek: Prodigy».
- par
- Christophe Pinol
On s’est déjà entretenu avec les talentueux Jessica Rossier et Bastien Grivet à plusieurs reprises sur lematin.ch. Deux Romands – époux à la ville – devenus Concept Designer sur bon nombres de projets hollywoodiens (notamment le film d’animation «Spider-Man: New Generation» et plusieurs épisodes de la série «Love, Death & Robots»).
Mais leur récent travail sur «Star Trek: Prodigy», série animée destinée aux jeunes ados, dont les 10 derniers épisodes viennent d’être dévoilés sur Paramount+ (disponible sur Canal +), cache une jolie histoire. Celle du papa de Jessica, Dominique Rossier. Passionné par les effets visuels au cinéma, ce graphiste vaudois de 58 ans a toute sa vie rêvé de travailler à Hollywood. Et aujourd’hui, c’est sa fille, après avoir baigné durant toute son enfance dans la passion du paternel, qui lui permet de concrétiser son rêve en lui offrant la possibilité de venir travailler avec elle. «Je lui serai éternellement reconnaissant du cadeau qu’elle m’a fait», nous confie-t-il.
Fin connaisseur de l’univers de «Star Trek», il est chargé de l’élaboration de la multitude d’écrans de contrôle du vaisseau vedette de «Star Trek: Prodigy», l’USS Dauntless. En gros, c’est donc lui qui est aux commandes de l’engin. Alors on lui donne du «Captain!» et on l’écoute nous raconter comment il a réalisé son rêve de gamin.
Comment est née cette passion pour la SF?
De la découverte de «Star Wars» au cinéma, à sa sortie, à l’âge de 13 ans. Pour moi, ça a été un choc. Je me suis mis à lire des tas de magazines et d’artbooks qui décrivaient la façon dont les effets spéciaux étaient conçus et à 20 ans, je rêvais de partir à Los Angeles et de travailler pour ILM, la compagnie d’effets spéciaux de George Lucas. Le problème, c’est que je ne parlais pas anglais et je n’avais surtout aucune connexion avec ce milieu. Et en Suisse, il n’y avait tout simplement pas de débouché. J’ai donc mis ces rêves au placard – surtout lorsque je suis devenu papa de deux jumelles – et je suis devenu graphiste, profession que j’ai exercée ces 20 ou 30 dernières années. Mais le rêve est toujours resté dans un coin de ma tête. Je continuais d’ailleurs à entretenir ma passion et mes deux filles ont grandi dans cet univers, en regardant des films de SF, en lisant mes artbooks et en écoutant de la musique de film. Vanessa est devenue designeuse de montres et Jessica, Concept Artist.
Et «Star Trek», dans tout ça?
J’ai d’abord été fan de «Star Wars» et puis à un moment donné, la philosophie «Star Trek» a pris le dessus. Aux incessants conflits de la première saga, j’ai commencé à préférer le futur dépeint par la seconde: une Terre unifiée où les gens partaient explorer l’espace… J’ai regardé toutes les séries, les films, lu des dizaines de livres sur le sujet… Bref, le gros fan! Donc quand en mai 2021, Jessica m’appelle pour me proposer de travailler avec elle sur «Star Trek: Prodigy», je n’y croyais pas… Elle venait de discuter avec le showrunner de la série, Ben Hibon, un Genevois installé à Hollywood depuis quelques années. Le designer qui devait lui faire les interfaces des écrans de contrôle des vaisseaux spatiaux lui avait rendu un travail qui ne lui convenait pas. Et ma fille lui avait proposé mes services.
Comment avez-vous convaincu la production de vous engager, vous qui n’aviez jamais travaillé dans le milieu?
Ben m’a d’abord fait passer un test en me demandant de concevoir le tableau de bord d’un vaisseau. Il fallait rester dans la ligne des designs développés pour les séries «Star Trek: la nouvelle génération» et «Star Trek: Voyager», mais en dehors de ça, j’avais carte blanche. J’ai conçu les différentes interfaces – de combat, de communication, de propulsion –, Ben a adoré et je me suis retrouvé engagé. Mais à mi-parcours seulement, parce que la production de la première partie de la saison, les 10 premiers épisodes, était déjà bien entamée. Du coup, on m’a confié le design des tableaux de bord du vaisseau que les personnages découvrent dans les ultimes secondes du 10e épisode, l’USS Dauntless, tiré de la série «Voyager», qui allait être le vaisseau principal de la seconde partie de la saison, les épisodes qui viennent d’être mis en ligne.
Comment un petit Suisse sorti de nulle-part s’est-il imposé au sein d’une intuition comme celle de «Star Trek»?
Disons que lorsque j’ai commencé à poser des questions pour préciser mon travail, l’équipe de la Paramount, à Hollywood, s’est rendue compte que je connaissais quand même bien mon sujet… Ils n’avaient par exemple pas pensé à réaliser une coupe du vaisseau, ce qui se fait systématiquement pour chaque engin de la saga. Et je savais que si on ne le faisait pas, on allait recevoir une pluie de protestations des fans. Ils n’avaient surtout pas pensé le vaisseau dans sa globalité, simplement en fonction de ce qui se passait dans les scènes décrites par le scénario. Ils n'avaient pas non plus prévu d’écran principal, qui est en général là pour résumer l’action, et on a fini par en concevoir un de virtuel, qui vient se superposer au décor.
Qu’avez-vous apporté au design de ces tableaux de bord?
Déjà, il s’agissait de respecter celui établit à partir de «Star Trek: la nouvelle génération». Par exemple, même si les boutons peuvent avoir des formes différentes, ils ont globalement tous la même taille. C’est ce que mon prédécesseur n’avait pas capté et que l’on retrouve donc dans le vaisseau qui est au cœur des premiers épisodes, l’USS Protostar. Ce que j’ai apporté, par contre, c’est l’indication, à côté de chaque bouton, de leur fonction propre. Parce qu’à l’origine, on y trouvait juste un chiffre. J’avais toujours trouvé bizarre que tout le monde pianote à toute vitesse sur ces écrans… Je veux bien que l’ingénieur-pilote connaisse toutes les fonctions par cœur, mais pour le capitaine, ça ne me semblait pas très logique. Dorénavant, pour chaque panneau de commande, on sait donc s’il s’agit de pilotage, de communication ou de combat…
Ressentez-vous parfois de la frustration lorsque votre travail n’apparaît que l’espace d’une seconde au détour d’un plan?
Non, il faut savoir rester humble dans ce métier. Mon travail consiste à faire des suggestions au réalisateur et au designer artistique. L’idée étant de fournir des éléments bruts, qui seront ensuite utilisés ou pas, transformés ou modifiés… Au début, je passais des jours à leur livrer des dessins précis au millimètre près alors qu’ils finissaient parfois flous à l’arrière-plan. Il ne faut pas avoir d’égo dans ce métier. Mais là je suis content: on retrouve le 40 ou 50% de mon travail dans les nouveaux épisodes.
Comment imagine-t-on les fonctions d’un vaisseau spatial, alors?
En se mettant dans la peau du gars qui doit le piloter (il rit)! Non, j’ai tellement baigné dans cet univers que je sais quelles actions vont devoir être accomplies et qu’elles nécessitent donc à chaque fois un bouton spécifique. Et puis un ami, ancien commandant de bord chez Swissair, m’a aussi expliqué comment on pilote un avion, ainsi que la fonction des différentes commandes, et j’ai ainsi pu incorporer à mes écrans des éléments propres à la cabine de certains avions. Je me suis même éclaté à dessiner la coupe du vaisseau, de manière ultra précise, sur la base de la forme établie par les designers. Ça m’a pris un temps fou! Alors c’est un crève-cœur parce que personne ne prendra jamais vraiment conscience de l’ampleur de mon travail, mais je me suis éclaté.
Vous occupez-vous également de l’animation de vos écrans de contrôle?
Maintenant oui! Je suis passé de Concept Designer à Motion Designer, et je gère donc également les lumières qui clignotent, la variation des différents graphiques, les représentations en 3D filaire du vaisseau ou de certaines parties du corps humain pour l’unité médicale.
Votre nom est d’ailleurs bien visible au générique…
Oui, crédité en tant que «Spaceship Interface Designer»! Je le suis même depuis le premier épisode alors que mon travail n’apparaît que 8 secondes sur le dernier de la première volée. Ils ont tellement apprécié l’énergie qu’on a mis dans notre travail, avec Jessica et Bastien, qu’ils ont choisi de me créditer dès le début.
Est-ce le début d’une nouvelle carrière?
Absolument! Là, je travaille sur le début de la deuxième saison, mais comme ma fille reçoit quantité de propositions, on va regarder ensemble ce dont je pourrais éventuellement me charger. Et maintenant que j’ai commencé à publier mes travaux sur le site spécialisé Artstation, peut-être va-t-on me contacter directement. La Paramount va même diffuser en interne mon dossier et qui sait, peut-être me retrouverais-je bientôt sur une autre série «Star Trek»?
Qu’est-ce que ça vous fait de réaliser enfin votre rêve d’ado, à 58 ans?
C’est fabuleux! Je suis comme un gosse à Noël et je vais essayer d’en profiter au maximum ces prochaines années. Tant que je peux bosser dans le cinéma, et plus particulièrement dans la SF, je vais prendre mon pied! J’aurais aimé avoir encore 40 ans devant moi mais je me sens déjà privilégié: je bosse chez moi, à Puidoux, je suis dans la création pure, et quand j’envoie mon travail à Hollywood, on me dit que c’est génial. Que demander de plus?