CommentaireLa guerre de Poutine peut-elle être encore légitime?
L’invasion de l’Ukraine par la Russie réveille une nouvelle ligne de front dans l’opinion publique en Suisse. Les antivax et les complotistes d’hier sont-ils devenus les pros Poutine d’aujourd’hui?
- par
- Eric Felley
Depuis une semaine, la Suisse a oublié la pandémie et vit au rythme des nouvelles qui viennent de la guerre en Ukraine. En ouverture de sa session de printemps, le Parlement a bousculé son programme pour voter une déclaration qui demande un cessez-le-feu. C’est un acte symbolique mais important, qui témoigne de l’inquiétude de la population helvétique face à une nouvelle crise, qui risque d’embraser le monde plus méchamment que le coronavirus.
Voix discordantes
Après le Covid, la guerre provoque une nouvelle ligne de front dans l’opinion publique. La journaliste Myret Zaki a publié un texte dans «Blick.ch», où elle relate les menées souterraines américaines qui ont conduit à des révolutions dans les pays de l’Est. Elle rappelle une série d’événements où se cache la main de Washington et peut expliquer la réaction de Poutine. Son confrère Guy Mettan, directeur du Conseil suisse de la presse, pointe du doigt l’élargissement de l’OTAN dans les pays de l’Est depuis les années 90, en contradiction avec les promesses faites par les États-Unis.
Une information plus équilibrée
L’un comme l’autre défendent un meilleur équilibre de l’information entre les camps, se méfiant d’une propagande unilatérale occidentale, qui ferait de Vladimir Poutine un monstre. Si l’armée russe a envahi l’Ukraine aujourd’hui, les États-Unis portent leur part de responsabilité. D’autres, qui étaient à la pointe du combat antivax, se retrouvent parmi les pros Poutine. C’est le cas du conseiller national zurichois Roger Köppel (UDC/ZH), qui consacrait la semaine dernière la une de son magazine la «Weltwoche» au président Russe avec ce titre: «L’incompris». Mais il est relativement seul dans cette position. Au Parlement, le «soutien» à Poutine a été abordé indirectement à travers la question de la neutralité.
Une légitimité variable
La légitimité de cette invasion préméditée par Vladimir Poutine varie en fonction des points de vue historiques, idéologiques, voire en raison de simples affinités culturelles avec la civilisation russophone. Mais au niveau des faits, l’attaque en elle-même, doublée d’une menace d’un conflit nucléaire, est d’une violence qui défie toute légitimité à l’instant présent. Une telle démonstration de force, une telle hargne, une telle volonté de destruction des cités ukrainiennes sont totalement démesurées pour remettre dans le droit chemin des frères prétendument égarés par les sirènes de l’Occident.
Le précédent de Grozny
Kiev va-t-elle connaître le sort de Grozny en 2000, lors de la deuxième guerre d’indépendance des Tchétchènes, où la ville fut réduite en poussières et gravats dans un incroyable tonnerre de feu? Vladimir Poutine, en tant que premier ministre à l’époque, avait déclaré des opérations militaires sans merci. Son armée avait alors procédé à la destruction de villes et de villages sans défense, des bombardements, des exécutions sommaires, des assassinats, des tortures, des viols, des détentions arbitraires, des disparitions, des pillages et des extorsions de fonds.
Des victimes par dizaines de milliers
À l’époque, l’armée russe avait sidéré le monde par cette violence, mais il s’agissait de «terroristes» tchétchènes, d’où une certaine «retenue» dans les chancelleries occidentales. Cette deuxième guerre de Tchétchénie, qui dura quatre mois d’octobre 1999 à février 2000, causa la mort de 12 000 soldats russes, 13 000 combattants séparatistes et 150 000 civils. Des chiffres qui montrent que Vladimir Poutine peut aller loin dans une guerre. De quoi effrayer toute l’Europe et forcément la Suisse. Car nous sommes aussi potentiellement attaqués dans cette affaire. C’est l’impression ressentie par beaucoup, notamment à l’UDC et au PLR, qui ont demandé dès lundi que l’armée suisse augmente fortement son budget.