Qatar 2022Pour les Argentins, gagner comme souffrir, c'était le «destin»
La victoire de l’Albiceleste en finale de la Coupe du monde a provoqué de gigantesques scènes de liesse dans un pays frappé par les difficultés économiques et sociales.
Une déflagration de joie, libérant 36 ans d'interminable attente depuis le dernier titre mondial en 1986, a secoué l'Argentine dimanche, à la fin de la finale du Mondial, lançant une journée de liesse pour le pays de Messi dont c'était «le destin» de gagner et de souffrir, encore.
«Soooy Argentino, es un sentimiento, no puedo paraaar!» («Je suis argentin, c'est un sentiment, je ne peux pas le stoppeeer!»). Quelques minutes à peine après le tir au but victorieux de Montiel, chansons, pétards, concerts de klaxons se disputaient l'espace sonore de la capitale Buenos Aires dans l'après-midi. De Mar del Plata, sur l'Atlantique, à Jujuy au pied des Andes, et à Buenos Aires bien sûr, des millions d'Argentins, autour d'écrans géants dans un parc, un stade, sur un front de mer, chez eux, ont vibré et d'abord accompagné un crescendo euphorique avec un avantage de 2-0 à la pause. Puis l'angoisse, jusqu'au bout 2-2, 3-3, les tirs au but.
«Épique, c'est épique! Mais c'est toute l'histoire argentine, de souffrir comme ça!»: un cri, surgi de la foule en ciel et blanc de 1500 personnes au Parque Centenario de Buenos Aires, résumait le sentiment de l'immense majorité.
«C’est notre destin de souffrir»
«C'est notre destin de souffrir! Condition sine qua non pour être argentin!», arrivait à plaisanter à l'AFP Joel Ciarallo, entre hilarité et émotion, dans un bar de la capitale proche de l'Obélisque. «Soyons clairs: l'Argentine est dans la m****, économiquement, socialement, on est mal. Alors c'est une distraction bien méritée.»
Sans même attendre de voir Messi soulever la Coupe, des supporters par milliers ont commencé à converger vers ce monument emblématique de la capitale et lieu traditionnel des célébrations sportives. «Muchaaachos…»: la chanson, écrite cette année et devenue l'hymne officieux des supporters argentins dans ce Mondial, résonnait en boucle, comme elle avait été hurlée à pleins poumons, en début de match, pour couvrir la Marseillaise.
Très tôt dans la partie, la confiance des supporters argentins irradiait. «On la tient (ndlr: la coupe). Déjà quatre occasions et une seule pour eux!», assurait à l'AFP Juan Solis, 74 ans, venu avec ses petits-enfants au Parque Centenario.
Penalty de Messi. Première explosion de joie, embrassades. Et les gestes de prosternation «Meees-si! Meees-si!» Di Maria déchire la défense française. Cris de délire, presque d'incrédulité. Le répertoire se pimente: «Qui ne saute pas est un Français!»
Comme tant de fois pendant ce Mondial, les chants des supporters restés au pays répondaient, en un émouvant écho, à ceux des hinchas à Doha résonnant depuis l'écran: «Volveremos a ser campeones como en el 86» («On va de nouveau être champions, comme en 86»).
Diego Maradona dans les mémoires
Peu de fans, à vrai dire, avaient attendu dimanche pour célébrer. Dès samedi soir, des «banderazos», dans une quinzaine de quartiers de Buenos Aires, avaient répété, tel un dernier entraînement, les chansons, les slogans, la joie de la 3e étoile tant attendue. Comme pour envoyer d’ultimes ondes positives aux «muchachos» de Lionel Scaloni, à 13’000 km de là.
«La Seleccion et Messi, pour le rêve de tous», titrait dimanche le quotidien «Clarin», tandis que les programmes spéciaux en continu des télévisions redoublaient de superlatifs dans leurs bandeaux déroulants: «L'Argentine rêve», «À un pas de la gloire éternelle», «Pour la gloire».
Le résultat est mérité. Pour ces deux finales perdues (1990, 2014) depuis le sacre de 1986. Parce que «l'Argentine est un pays qui souffre, vit des montagnes russes économiques, où c'est toujours dur de boucler les fins de mois», soufflait Agustin Acevedo, 25 ans, un ouvrier du bâtiment. Pour Messi enfin, que «tout le monde du football, pas seulement les Argentins, voulait voir consacré». Mais là, «c'est le film parfait. Tout ce qu'on a souffert valait la peine pour ça!» , lâchait-il a proximité de l'Obélisque dans un bar flanqué des effigies de Messi et Maradona, en façade.
Ah, Diego... présent aussi, dans la mémoire de tous. «Premier Mondial sans toi, merci pour tout!» s'émouvaient les commentateurs de la télévision publique, dans un total lâcher-prise émotionnel.
Dans l'ancienne maison de Maradona (qu'il avait achetée à ses parents) dans la banlieue de Villa Devoto, quelques dizaines de privilégiés, voisins, amis, avaient été invités à suivre le match dans le jardin, autour de la piscine et de la parilla (barbecue), a constaté l'AFP. Faute d'avoir trouvé preneur lors d'enchères en avril, «la maison allait être démolie, alors j'ai décidé de la racheter et de la retaper», raconte son nouveau propriétaire, Ariel Fernando Garcia, un avocat de 47 ans.
«À nous Argentins, tout ce qui touche à Maradona rappelle notre enfance: c'est lui qui nous a donné le plus de joie, rappelait-il. Cela fait des années que l'Argentine est triste, mais elle a toujours été un pays généreux et solidaire. Et ça, il faut le retrouver», disait-il pour expliquer sa décision «d'ouvrir» la maison. Parce que Diego «qui nous regarde depuis le ciel», comme dit la chanson «Muchachos», ne pouvait être absent d'un moment d'éternité du football argentin.