Jura: À Boncourt, «on a baigné dans le tabac!»

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JuraÀ Boncourt, «on a baigné dans le tabac!»

L’ancien maire André Goffinet commente la décision du cigarettier British American Tobacco Switzerland (BAT) de sceller le sort d’un site industriel historique: «C’est une bombe pour nous».

Vincent Donzé
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Vincent Donzé
André Goffinet devant la mairie en 2015, deux ans après son départ.

André Goffinet devant la mairie en 2015, deux ans après son départ.

Yvain Genevay LMD

Les clopes et Boncourt, ce n’est plus une histoire d’amour, n’en déplaise du tenancier du Café du Battoir, personnage de l’émission «120 secondes» sur Couleur 3. Le gouvernement jurassien a été informé hier de l’annonce par British American Tobacco Switzerland (BAT) de l’ouverture d’une procédure de consultation liée au site de Boncourt.

L’annonce de BAT laisse entrevoir clairement un désengagement du site jurassien. Elle a suscité «la surprise et la déception» du gouvernement jurassien, «au regard de l’importance historique de l’entreprise pour le canton».

Après la phase de consultation de quatre semaines, BAT Switzerland envisage de transférer la totalité de la production vers d’autres usines en Europe. pour mesurer l’ampleur de ce séisme pour un village assimilé au cigarettier, lematin.ch s’est entretenu avec l’ancien maire André Goffinet (81 ans):

En 2010, lematin.ch vous présentait comme «Le maire le plus heureux du pays», et là?

Je ne suis plus maire depuis cinq ans, mais je serais le plus malheureux! J’ai toujours eu peur que l’usine ferme pendant mon dernier mandat.

Avez-vous travaillé chez Burrus?

J’étais le chef comptable pendant 31 ans. J’ai commencé d’y travailler un 1er mai, en commençant par un demi-jour de congé… J’ai arrêté en 2001, à 60 ans, un âge prévu alors par le nouveau règlement d’entreprise, avec un pont jusqu’à l’AVS.

Étiez-vous fumeur?

J’ai fumé toute ma vie, mais j’ai tout arrêté il y a huit ou dix ans: la cigarette, le cigare et la pipe. En donnant mes derniers paquets à quelqu’un sur le chemin d’Emmaüs, j‘en ai fait le plus heureux des hommes. Ah! Un cigare après le dîner… À 81 ans, je ne fume plus qu’une ou deux cigarettes par jour, mais j’ai gardé toutes mes pipes dans une armoire.

Mais les nouvelles générations ne fument plus…

Pardon? Mes enfants et mes petits-enfants sont de sacrés torailleurs! Que voulez-vous, on a baigné dans le tabac! En devenant cadre, je recevais 50 paquets par mois, la moitié pour ma consommation, avec pour mission de distribuer l’autre moitié. Les cigarettes gratuites qui ne leur plaisaient pas, les employées françaises les échangeaient au kiosque…

De quelle marque?

Des Gauloises, puis des Parisiennes qui ont servi à gagner le plus possible sans changer les machines.

De quoi enrichir Boncourt?

Avec la péréquation financière, toutes les communes jurassiennes ont été arrosées. Pour les 3,5 millions perçus par Boncourt, le revenu fiscal était celui de l’outil de travail, la société n’étant pas basée dans notre commune.

Burrus à Boncourt, c’est…

Attendez: on en a pour deux jours: la chapelle, la piscine, l’église, la salle de sport, le… Merci Léon Burrus!

Merci qui?

Léon Burrus, maire pendant 35 ans, pour les écoles et la tribune du stade de foot, mais aussi Gérard, qui payait le nouvel uniforme de la fanfare. Ils ont beaucoup gagné, mais ils ont aussi beaucoup donné: les Burrus sortaient les gros billets pour mettre les gens financièrement à l’aide, avec des prestations sociales du tonnerre. Le vendredi, ils payaient le poisson, ça puait dans tout le village…

Puis Burrus est devenu BAT…

L’usine est devenue normale, avec 220 collaborateurs. Mon grand-père en était le premier contremaître, au début des années 1900. L’annonce de la fermeture, c’est une bombe pour nous, une sonnée pour Boncourt et la pire chose qui pouvait arriver au canton.

Que reste-t-il?

Un château, des biens appartenant à Madame Charles Burrus, mais aussi d’autres usines du Swatch Group et de Sonceboz SA, avec des employés majoritairement français.

Boncourt perd bien plus qu’une simple entreprise.

Boncourt perd bien plus qu’une simple entreprise.

Commune de Boncourt

En 2010, André Goffinet expliquait que «les entreprises se battent pour s’implanter dans sa commune». La vente d’un terrain au Swatch Group promettait 400 emplois à ce village de 1300 habitants. Le groupe horloger biennois produit des composants et assemble des montres face à la douane routière, dans le village suisse le plus proche de Paris en TGV.

Sa force, Boncourt l’a tiré du cigarettier F. J. Burrus, racheté par BAT: «Cette entreprise fait vivre notre village depuis bientôt deux siècles. Mais elle nous a surtout légué du personnel qualifié et flexible», disait alors André Goffinet.

Tous les employés n’habitent pas la commune: les frontaliers sont nombreux dans un bassin qui englobe Belfort, Sochaux et Montbéliard. La seule véritable attraction, c’est le club de basket, fierté jurassienne qui doit beaucoup au cigarettier.

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