AthlétismeLes droits de Caster Semenya ont été violés par la Suisse
L’athlète sud-africaine, empêchée de participer à certaines courses parce qu'elle refuse un traitement pour faire baisser son taux de testostérone, a remporté son combat devant la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH).
Caster Semenya (32 ans) a déposé une requête contre la Suisse, dont la justice a confirmé en août 2020 que l’athlète hyperandrogène devait suivre un traitement hormonal pour s’aligner sur sa distance fétiche du 800 m. La sportive a invoqué diverses violations de ses droits devant la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH). Dans une décision publiée mardi, la cour, à une majorité de quatre juges contre trois, estime en particulier que «la requérante n’a pas bénéficié en Suisse des garanties institutionnelles et procédurales suffisantes qui lui auraient permis de faire valoir ses griefs de manière effective.»
Les articles 14 (interdiction de la discrimination) et 13 (droit à un recours effectif), en lien avec l’article 8 (droit au respect de la vie privée) de la CEDH ont été violés par la justice suisse. La Suisse est condamnée à verser une indemnité de 60'000 euros pour frais et dépens à la recourante.
Notant que la Suisse n’a joué aucun rôle dans l’adoption du règlement sur les différences du développement sexuel (règlement DSD) de la Fédération internationale d’athlétisme (World Athletics, ex-IAAF), Strasbourg s’est concentré sur les recours intentés par Caster Semenya devant le Tribunal arbitral du sport (TAS) et le Tribunal fédéral (TF), seules procédures ouvertes pour contester le règlement DSD.
Sérieux doutes
La CourEDH souligne au préalable que «des différences fondées exclusivement sur le sexe doivent être justifiées par des considérations très fortes, des motifs impérieux ou des raisons particulièrement solides et convaincantes». Devant le TAS et le TF, la discrimination invoquée par la recourante n’a d’ailleurs pas été contestée.
Le TAS lui-même avait exprimé de sérieux doutes sur le règlement DSD, en particulier sur les effets secondaires du traitement hormonal prescrit et sur les preuves d’un avantage des athlètes hyperandrogènes dans les disciplines du 1500 m et du mile. Cependant, ni cette instance ni le TF n’ont clarifié ces incertitudes ou les fondements scientifiques du règlement. Les deux tribunaux ont estimé uniquement que ces athlètes bénéficiaient d’un avantage insurmontable.
En l’espèce, la cour constate que la seule voie ouverte à l’athlète était celle du TAS et que celui-ci n’a pas appliqué la CEDH. En outre, il a laissé planer des «doutes considérables» sur le règlement DSD. Le contrôle exercé par la suite par le TF était très restreint de telle sorte que Caster Semenya n’a pas bénéficié de garanties suffisantes pour faire valoir des «griefs bien étayés et crédibles».
La sportive, qui présente un excès naturel d’hormones sexuelles mâles, mène depuis plus de dix ans un bras de fer avec la Fédération internationale d’athlétisme. Expertises à l’appui, cette dernière a défini en avril 2018 un seuil maximal de testostérone (5 nanomoles par litre de sang) pour concourir avec les femmes sur des distances allant du 400 m au mile (1609 m), et englobant donc le 800 m où la Sud-Africaine excelle.