Les promesses de neutralité carbone inquiètent les scientifiques

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ClimatLes promesses de neutralité carbone inquiètent les scientifiques

Les experts du climat jugent ces engagements de compensation des émissions de gaz à effet de serre peu étayés et estiment indispensable avant tout de réduire ces émissions.

Confrontés aux canicules de plus en plus meurtrières, à la montée des océans ou aux pertes de récoltes, nombreux sont les pays, les villes et les entreprises à afficher des objectifs de neutralité carbone. Le concept est simple: s’assurer que d’ici une date fixée (le plus souvent 2050), une entité absorbe autant de carbone qu’elle n’en émet, parvenant ainsi à zéro émission nette.

«Aucun n'est adapté»

Mais les scientifiques et les ONG s’inquiètent de plus en plus du déferlement de promesses vagues de neutralité carbone qui privilégient les compensations et d’hypothétiques avancées technologiques pour absorber le carbone, à la place de la réduction des émissions de CO2. Les projets de neutralité carbone «ne sont pas adaptés, aucun d’entre eux», estime Myles Allen, directeur du projet «Oxford Net Zero» à l’université du même nom.

«Vous ne pouvez pas compenser pendant très longtemps l’utilisation continue des énergies fossiles en plantant des arbres. Personne n’admet cela dans ses plans de neutralité carbone, même les pays les plus ambitieux», explique-t-il à l’AFP.

Objectifs flous

Lors de la conférence climat COP26 à Glasgow en novembre, l’Inde, un des principaux émetteurs, s’est engagée pour la première fois sur la voie de cette neutralité, rejoignant ainsi les États-Unis, la Chine ou l’UE. Selon le Net Zero Tracker, outil créé par plusieurs groupes de recherche, 90% des émissions mondiales sont désormais couvertes par des objectifs de neutralité carbone, mais la majorité d’entre eux sont flous.

Quelles émissions?

Par exemple, 91% des plans des États et 48% de ceux des entreprises publiques ne mentionnent même pas la question de la compensation des émissions. Et moins d’un tiers des objectifs des entreprises couvrent les émissions dites de «scope 3» qui incluent notamment celles issues de l’utilisation du produit (par exemple, l’essence utilisée dans les voitures pour une industrie pétrolière).

«D’un point de vue climatique, c’est important, les entreprises entraînent des émissions non seulement dans leurs opérations mais aussi par l’intermédiaire de ce qu’elles achètent et vendent», insiste Alberto Carillo Pineda, co-fondateur de l’initiative Science Based Targets qui conseille les entreprises en la matière. Ne pas inclure le scope 3 «n’a aucun sens»: «une entreprise n’existerait pas sans ses produits, donc ses produits doivent être pris en compte dans les émissions», juge-t-il.

«Repousser le problème»

Selon la dernière évaluation de l’ONU-Climat qui prend en compte l’ensemble des engagements des États, les émissions devraient augmenter de 13,7% d’ici 2030, alors qu’elles devraient être réduites de moitié pour limiter le réchauffement à +1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle. Pour Stuart Parkinson, de l’organisme Scientists for Global Responsibility (SGR), les gouvernements utilisent désormais les promesses de neutralité carbone pour reporter l’action nécessaire: «de notre point de vue, c’est complètement irresponsable. Cela revient juste à repousser le problème et à s’en remettre à des progrès technologiques théoriques, alors que nous savons que nous pouvons changer de comportements maintenant pour réduire les émissions.»

Reforestation en question

De nombreux pays et entreprises comptent déployer une reforestation massive «stupide» pour atteindre la neutralité carbone. Mais c’est un problème au moins pour deux raisons, selon les experts. D’abord, le sol et les plantes absorbent déjà d’énormes quantités de CO2 et ces puits de carbone naturels donnent des signes de saturation, risquant de se transformer en sources d’émissions.

«Stupide»

«Compter sur la biosphère pour stocker du carbone est vraiment stupide alors qu’on pourrait bien avoir besoin de toutes les solutions basées sur la nature rien que pour stabiliser le volume de carbone dans la biosphère», commente Myles Allen.

Forêts contre nourriture

Mais l’idée est également risquée en termes de droits de l’homme et de justice dans un monde qui a besoin de nourrir la population. «La compétition pour les terres, avec la plantation d’arbres et la production de bioénergie va avoir un impact sur les communautés à bas revenus, celles qui sont les moins responsables du problème», souligne Teresa Anderson, de l’ONG ActionAid International.

Course contre la montre

Alors que les experts climat de l’ONU (Giec) estiment que le seuil de +1,5°C pourrait être atteint autour de 2030, le temps presse. Malgré tout, sur des centaines d’entreprises ayant pris des engagements de neutralité carbone, «très peu» ont des plans à long terme pour décarboner leur activité, regrette Alberto Carillo Pineda. «Nous nous devons d’être très sceptiques face à tout engagement qui n’a pas de jalons clairs en termes de réduction des émissions pour 2030», souligne-t-il. «En gros, un objectif de neutralité carbone sans cette étape en 2030 n’est pas crédible.»

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