France«En redémarrant la centrale à charbon de Saint-Avold, on déterre un cadavre»
Pour faire face à l’incertitude de l’hiver, quelque 200 salariés s’affairent à préparer la réouverture en octobre de l’une des dernières centrales à charbon de France, située en Moselle.
Dans un des gigantesques broyeurs de la centrale électrique de Saint-Avold (Moselle), un ouvrier est en pleins travaux de soudure quand, dehors, des camions déchargent leurs cargaisons de charbon: l’activité bat son plein avant le redémarrage début octobre d’une des dernières centrales à charbon de France.
«Contents d’être là»,
Le silence et la fraîcheur règnent encore au milieu de la lourde machinerie inaugurée en 1981. Seul résonne le bruit des travaux de réparation qui ont débuté cet été et se termineront fin septembre. Coût de l’opération: 10 millions d’euros. Quelque 200 salariés d’entreprises sous-traitantes ont été embauchés pour l’occasion, précise Camille Jaffrelo, porte-parole de GazelEnergie, propriétaire de la centrale. «Une grande révision» des machines est indispensable pour «redémarrer en toute sécurité» et éviter tout incident technique cet hiver, explique Sylvain Mergen, chef de quart de 55 ans, depuis la salle des commandes.
Lui devait partir à la retraite cette année et a accepté de revenir, comme 67 autres salariés «contents d’être là», selon cet ancien mineur employé de la centrale depuis 1997. Au total, 68 salariés sur les 69 que comptait le site le 31 mars dernier sont revenus. A la retraite depuis ses 54 ans, Denis Maury, 60 ans, avait lui déjà accepté de reprendre son poste de rondier l’hiver dernier. De retour depuis fin août, il effectue des rondes régulières pour vérifier que la machine fonctionne sans problème.
Main à la poche
S’il se sentait en capacité de reprendre son travail «après six ans de vacances». Il ne le cache pas, la généreuse prime de 5800 euros bruts par mois proposée aux salariés pour l’hiver 2022/2023 a aussi pesé dans la balance. «Pour inciter les gens à revenir, il faut mettre la main à la poche», confirme Camille Jaffrelo. «Nous avons augmenté les salaires et donné un certain nombre de primes qui doublent la rémunération de nos salariés.»
Très émettrice de CO2, la centrale Emile-Huchet devait fermer ses portes définitivement fin mars. Mais le gouvernement en a décidé autrement cet été pour sécuriser l’approvisionnement du pays en électricité, compte tenu du conflit en Ukraine et des déboires rencontrés par le parc nucléaire d’EDF. Il n’y a qu’une seule autre centrale au charbon, à Cordemais (ouest), encore ouverte en France. Dans l’Hexagone plus de 67% de l’électricité produite est d’origine nucléaire, la part des combustibles fossiles étant en 2020 de 7,5% dont 0,3% de charbon et 6,9% de gaz.
«On sait qu’on pollue»
Sylvain Krebs, 46 ans dont 22 ans passés à gérer le charbon à Emile-Huchet, doit rejoindre l’équipe qui travaillera pour cette future chaudière biomasse. Le charbon, or noir qui a fait vivre la Lorraine pendant près de deux siècles, il en a «fait le deuil». S’il se dit toutefois «content» de voir les hautes cheminées se rallumer une dernière fois, «on a déterré un cadavre», regrette-t-il. «On sait qu’on pollue», dit-il en montrant les 210’000 tonnes de charbon stockées sur le site. Derrière lui, le ballet de camions venus livrer ne s’arrête pas et le monticule atteint déjà une quinzaine de mètres de haut, tache noire au milieu de ce site industriel entouré d’éoliennes plantées à quelques kilomètres.
Au total, il faudra plus de 500’000 tonnes de charbon pour faire tourner le site d’octobre à fin mars. A cause de la guerre en Ukraine et des réacteurs nucléaires à l’arrêt, Sylvain Krebs en est convaincu, la centrale a encore «deux années de fonctionnement» devant elle. Car lorsqu’elle tourne à pleine capacité, elle peut produire jusqu’à 600 Megawattheure, et est en mesure d’alimenter un tiers des foyers de la région Grand Est.