JuraVictime de trois incendies, la scierie Corbat est au chevet de Notre-Dame
L’entreprise familiale de Vendlincourt a subi des sinistres en 1937, 1965 et 2019. En 2021, elle met son savoir-faire au profit de la cathédrale de Paris.
Façonner des poutres pour reconstruire la flèche de la cathédrale Notre-Dame de Paris: plus qu’un défi, c’est un honneur pour la scierie du Groupe Corbat, à Vendlincourt (JU). Mardi après-midi, son directeur adjoint était rayonnant: «La nouvelle charpente aura autant de valeur que celle qui a brûlé», s’enthousiasme Gauthier Corbat (36 ans).
Pour, comme il dit, «restituer et augmenter la mémoire» architecturale de Notre-Dame, deux trains routiers ont transporté 50 tonnes de bois à Vendlincourt, en provenance d’Alsace, de Franche-Comté et de Haute-Saône. «La France possède et cultive un patrimoine forestier comme aucun autre pays», applaudit Gauthier Corbat.
«C’est le coeur de la France qui brûlait»
En voyant la cathédrale brûler, le 15 avril 2019, cet entrepreneur n’a pas pensé une seconde aux sinistres survenus dans la scierie familiale de Vendlincourt, en 1937 et 1965. Deux mois plus tard, la scierie Corbat subissait un important incendie, mais avec sa formation d’historien d’art, Gauthier Corbat sait distinguer une église gothique d’une scierie industrielle, plus encline à subir un incendie: «C’est le cœur de la France qui brûlait. Notre-Dame, c’est Victor Hugo!» rappelle-t-il.
À chacun des trois sinistres subis, l’entreprise a fait «de la guigne une opportunité», comme stipulé dans l’historique de la scierie. À Vendlincourt, rien n’a été construit à l’identique… Après l’incendie de 2019, lorsqu’une déflagration a secoué une broyeuse, la halle de l’usine à pellets a été reconstruite avec les arches de l’ancienne patinoire couverte d’Ajoie, construite en 1973 par Charly Corbat, père fondateur du HC Ajoie.
Toiture portée
Ce qui distinguait la huitième patinoire couverte de Suisse, c’était sa structure en bois, avec une toiture portée par des arches longues de 24 mètres. Mais là, pour refaire la flèche de Notre-Dame construite par Eugène Viollet-le-Duc et inaugurée en 1859, il ne s’agit pas d’utiliser du lamellé-collé, mais du bois massif, tranché dans des troncs vieux de 150 ans.
Il fallait trouver rapidement 1300 chênes. Pour Gauthier Corbat, participer à la reconstruction du siècle était une évidence, une «opportunité extraordinaire». Sa plus longue poutre sciée sur une installation en fonte mesure 6,70 mètres, sur 22 cm de côté. Elle séchera avec les autres, un processus impossible à accélérer sans faire exploser le bois humide à 50%.
Il sait que des scieries françaises fourniront des poutres de 24 mètres pour le tablier de flèche, mais sa fierté s’en trouve augmentée. Une fois livrées à Paris, après vérification à Vendlincourt des pièces numérotées, ses poutres seront entaillées pour être assemblées par des compagnons.
Prestation offerte
Propriétaire d’une scierie à Badevel (F), le Groupe Corbat s’est mis à disposition, en gage de l’amitié franco-suisse: «La frontière est très souvent perçue comme quelque chose de négatif, ce qui est bien dommage», dit-il. S’il a pu scier des arbres français, il n’a pas réussi à glisser dans le lot deux chênes de Bonfol, comme espéré.
Le Groupe Corbat ne facturera pas sa prestation en faveur d’un projet jugé «inestimable» et «impayable». Le bénéfice pour le groupe est symbolique, mais aussi publicitaIre.
Hêtre, frêne et chêne font leur métier: depuis quatre générations, la scierie de Vendlincourt est spécialisée dans les feuillus qui font des parquets et des meubles, quand les autres travaillent les résineux qui font des planchers et des caisses.
L’histoire d’une réussite
La scierie Corbat date de 1930. Elle est fondée par un menuisier ambitieux, Paul Corbat, bien décidé à valoriser les essences issues de sa région. Très vite, en 1937, un important incendie détruit sa scie à poulies et sa circulaire à chariot. Dans une économie rationnée par la guerre, Paul Corbat rebondit en acquérant des machines innovantes pour scier des feuillus. L’approvisionnement en grumes est assuré par des propriétaires privés.
Le conflit terminé, Paul Corbat construit une grande halle pour deux lignes de sciages: l’une multiple et l’autre horizontale. L’entreprise de Paul Corbat devient en 1947 la première scierie de feuillus de Suisse partiellement mécanisée. La mécanisation des installations rationalise la fabrication des traverses, des plots, frises et avivés. La clientèle s’élargit. La deuxième génération prend le relais quand un nouvel incendie survient en 1965. La scierie renaît de ses cendres, investit pour se diversifier et devient une holding coiffant trois entreprises.
À partir de 1981, la troisième génération traite 50 000 m3 de grumes par an et dégage un chiffre d’affaires avoisinant les 20 millions de francs, en devenant l’unique producteur suisse de traverses de chemin de fer,
Avec le rachat en 1997 d’une parqueterie en faillite, le Groupe Corbat maintient la fabrication de parquets. Dès 2009, la création de la société «Pellets du Jura» permet de produire des granulés constitués de deux tiers de bois feuillu et d’un tiers de bois résineux.
La quatrième génération, incarnée par Benjamin et Gauthier, s’est donnée pour tâche de trouver de nouveaux débouchés pour le hêtre, plus dense et plus lourd que les résineux. Son histoire fait du Groupe Corbat une entreprise jurassienne emblématique, avec la production à Glovelier de traverses et aux Breuleux de parquets.