ÉnergieLa Suisse va-t-elle se retrouver dans le noir cet hiver?
La Suisse craint manquer d’électricité cet hiver si les réacteurs nucléaires français à l’arrêt le restent et si Berlin, en raison de la guerre en Ukraine, réduit ses exportations d’électricité produite au gaz.
En été, la Suisse, château d’eau de l’Europe grâce à ses centaines de centrales hydrauliques, exporte de l’électricité, mais en hiver c’est l’inverse. Ce n’est habituellement pas un problème mais depuis la guerre en Ukraine, le gaz russe ne coule plus à flots en Europe.
Or la Suisse, qui n’a pas de réserves de gaz sur son sol, importe en hiver de l’électricité produite avec du gaz en Allemagne, confrontée cette année à la réduction des livraisons de gaz russe.
«L’autre problème, c’est que du côté français, la moitié du parc nucléaire est à l’arrêt» en raison notamment de problème de corrosion, a expliqué à l’AFP Stéphane Genoud, professeur en management de l’énergie dans la grande école universitaire HES-SO. Cette conjonction de facteurs fait craindre des pénuries d’électricité.
Le lancement début septembre d’une puissante centrale hydroélectrique de pompage-turbinage à Finhaut-Emosson près du Mont-Blanc dans les Alpes suisses, à 600 mètres sous la roche et à une altitude de 1700 mètres, ne va pas radicalement changer la donne.
Dans un barrage de retenue classique, une fois le lac vidé, la production s’arrête. Dans cette centrale (baptisée Nant De Drance), rien de tel. Située entre deux barrages à des altitudes différentes, elle profite des épisodes de surproduction sur le réseau électrique d’origine éolienne ou solaire, pour pomper l’eau depuis le bassin du bas vers celui du haut.
Une eau qu’elle relâche en période de forte demande de courant électrique. «C’est comme une énorme batterie. On peut régénérer l’électricité au moment opportun, lors des pointes journalières le matin ou le soir», a indiqué à l’AFP Robert Gleitz, de la direction d’Alpiq, une des sociétés actionnaires de la centrale.
La centrale «arrive à un moment opportun et va permettre d’accélérer la transition énergétique» vers les énergies renouvelables, a-t-il expliqué lors de la visite de l’installation. Mais il souligne que ce type de centrale ne peut soutenir le marché électrique que sur de courtes périodes puisqu’elle ne génère pas d’électricité lorsque l’eau est renvoyée vers le bassin du haut.
«Risque élevé»
«Dans la situation actuelle, elle complète utilement une production d’électricité renouvelable encore trop faible», a relevé auprès de l’AFP Nicolas Wüthrich de l’organisation Pro Natura. Comme d’autres ONG, il déplore surtout le retard pris par la Suisse sur sa transition énergétique, alors que le pays a décidé de sortir progressivement du nucléaire après l’accident nucléaire de Fukushima en 2011.
En 2020, la Suisse ne comptait qu’une quarantaine d’installations éoliennes. Selon Boris Salak, expert auprès de l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage, quelque 750 éoliennes et des panneaux solaires sur un tiers des toits seraient nécessaires pour atteindre les objectifs gouvernementaux de 2050 en termes de stratégie énergétique.
Fin 2021, avant même la guerre en Ukraine, l’organisation suisse pour l’approvisionnement en électricité en cas de crise soulignait ainsi que le risque de pénurie d’électricité était déjà «élevé» dans le pays. Ces derniers jours, le gouvernement a appelé à ne pas dramatiser tout en assurant se préparer à des pénuries d’électricité.
Le président de la Commission fédérale de l’électricité, Werner Luginbühl, a prévenu que des coupures de plusieurs heures sont à prévoir. Les Suisses eux se ruent sur les groupes électrogènes et les panneaux solaires pour balcon, tandis que les partis de gauche réclament des mesures rapides.
Certains, comme l’économiste Stéphane Garelli, s’attendent à des mesures douces pour inciter les gens à moins consommer d’électricité. Stéphane Genoud estime, lui, probable que Berne introduise des mesures plus contraignantes comme des «quotas pour les grands consommateurs» d’électricité, comme les grandes entreprises, ou des coupures de courant. Mais, espère-t-il, «si les Français arrivent à redémarrer les réacteurs, si Poutine n’embête pas et s’il ne fait pas froid, on passe à côté d’une pénurie ou d’un black-out».