États-UnisLa Cour suprême pourrait faire descendre les armes dans la rue
Les Américains pourraient-ils bientôt descendre dans la rue avec un pistolet? Pas impossible, car la Haute Cour, à majorité conservatrice, examine un recours du puissant lobby proarmes.
La Cour suprême des États-Unis, profondément remaniée par Donald Trump, examine mercredi un recours contre une loi de New York, et sa décision pourrait permettre à tous les Américains de sortir armés de leur domicile. L’audience, la plus importante consacrée aux armes à feu depuis plus de dix ans, suscite de fortes appréhensions chez les partisans de régulations renforcées, qui se méfient de sa majorité conservatrice (six juges sur neuf).
«La loi au cœur de ce dossier existe depuis plus de 100 ans, et le fait que la Cour ait accepté de l’examiner devrait tous nous inquiéter», a estimé Eric Tirschwell, directeur exécutif de l’organisation Everytown Law. «Les enjeux sont extrêmement élevés, surtout dans le contexte de hausse de la violence par armes à feu», a-t-il ajouté, en référence à l’augmentation des homicides et accidents mortels, passés de 15’500 à 19’500 entre 2019 et 2020 aux États-Unis.
Les défenseurs du port d’arme voient au contraire dans ces chiffres la preuve que les Américains ont besoin de s’armer davantage pour se défendre. Ils se réjouissent de voir le sujet devant une Cour suprême apparemment sensible à leur cause.
Arrêt historique en 2008
Le temple du droit, où l’ancien président républicain a fait entrer trois juges, a aujourd’hui une «solide majorité de magistrats qui pensent que la Constitution doit être interprétée comme elle était comprise lors de son écriture», a récemment souligné le puissant lobby des armes, la National Rifle Association (NRA). Celle-ci milite pour une lecture littérale du deuxième amendement de la Constitution. Ratifié en 1791, il énonce qu’«une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un État libre, le droit qu’a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé».
En 1939, la Cour suprême avait jugé qu’il protégeait le droit d’utiliser des armes dans le cadre d’une force de maintien de l’ordre, comme l’armée ou la police, mais n’était pas un droit individuel à l’autodéfense. En 2008, elle a changé de position lors d’un arrêt historique et établi pour la première fois un droit à posséder une arme à son domicile pour se défendre. Elle a toutefois laissé aux villes et aux États le soin de réguler le transport en dehors du domicile, si bien que les règles sont très variables d’un endroit à l’autre.
108 ans de restriction
Après avoir refusé, pendant dix ans, de revenir sur le sujet, malgré de nombreuses sollicitations, la Haute Cour a finalement accepté un recours déposé par une filiale de la NRA et deux propriétaires d’armes à feu, qui contestent une loi de l’État de New York. Cette loi limite, depuis 1913, la délivrance de permis de port d’armes dissimulées aux personnes ayant des raisons de croire qu’elles pourront avoir à se défendre, par exemple en raison de leur métier ou de menaces les visant.
Si la Cour suprême invalide cette loi, cela pourrait immédiatement faire tomber des règles similaires en vigueur dans sept autres États, dont certains très peuplés, comme la Californie ou le New Jersey, souligne Joseph Blocher, professeur de droit à Duke University. «Près de 80 millions d’Américains vivent dans ces États, donc l’impact concret sera énorme», estime-t-il.
Porte ouverte à de nouvelles plaintes
Au-delà, le dossier pourrait «être un tournant sur la manière dont les tribunaux examinent les dossiers liés au deuxième amendement», relève Eric Ruben, professeur associé à la faculté de droit SMU, au Texas. Au cours des dix dernières années, les tribunaux ont généralement estimé que les restrictions adoptées par les États ou les villes pouvaient être justifiées par des préoccupations de sécurité.
Les partisans du port d’arme demandent à la Cour de profiter du dossier new-yorkais «pour rejeter cette approche et se concentrer uniquement sur le texte, l’histoire et les traditions», ce qui est «troublant, car la violence par arme à feu n’était pas un problème au XVIIIe siècle», souligne Eric Ruben. Si la Cour leur donnait raison, cela «ouvrirait la porte à une série de nouvelles plaintes contre toutes les régulations existantes».
La Cour suprême doit rendre sa décision avant la fin juin 2022.