FootballLes enseignements de la sélection de Murat Yakin
Le sélectionneur a délivré une liste sans surprise pour affronter l’Espagne et la République tchèque. Mais non sans passer certains messages. Décryptage.
- par
- Valentin Schnorhk Muri bei Bern (BE)
Ce sont vingt-quatre noms qui se courent après et qu’on imaginerait bien voir courir ensemble sur les pelouses du Qatar d’ici à deux mois. Murat Yakin a beau ne pas vouloir se fermer de portes, il n’a pas fait dans la surprise vendredi matin, à la Maison du football suisse de Muri (BE). Ce n’est sans doute pas le moment: son groupe est formé et c’est ainsi qu’il pourra obtenir les meilleurs résultats possibles en Ligue des nations (en Espagne et contre la République tchèque), mais surtout à la Coupe du monde.
Il n’empêche, la liste annoncée vendredi comporte son lot de questionnements. Parce que pour certains, l’avenir en club ne semble pas tout rose à court terme. Cela peut-il devenir un problème? Analyse.
Le temps de jeu est (pour l’instant) accessoire
Vingt-quatre sélectionnés aux réalités actuelles bien distinctes. Il y a ceux pour qui tout fonctionne ou presque: Noah Okafor qui marque des buts en championnat et en Ligue des champions avec le RB Salzburg («Il est incroyable, il est dans une superbe condition, je suis très content pour lui», s’est félicité Yakin à son sujet), Granit Xhaka qui assume son rôle de patron avec Arsenal, leader de Premier League, Breel Embolo qui trouve de la confiance à Monaco ou encore Yann Sommer, presque injouable avec Gladbach.
Il y a aussi ceux qui sont dans la continuité: ils jouent, à leur niveau (Elvedi, Schär, Widmer, Rodriguez, Sow) ou ont fait des choix en fonction (Steffen, Itten, Shaqiri). Et puis, il y a les autres. Une petite délégation qui nage dans l’incertitude. On pense à Akanji, Freuler, Mbabu, Seferovic ou Zakaria qui ont changé de club cet été et le payent pour l’instant avec beaucoup de banc et très peu de temps de jeu. On n’oublie pas non plus Aebischer, Frei et Vargas qui connaissent un moment de flou, puisqu’ils ont été relégués dans la hiérarchie de leurs clubs respectifs.
Mais il y a là passablement de joueurs importants, dont Murat Yakin peut difficilement se passer. Le temps de jeu n’est pas un critère, pour l’instant. Le sera-t-il dans deux mois? «Si un joueur ne joue pas d’ici là, il faudra en discuter», élude Yakin. Comme s’il n’y avait pas vraiment de facteur binaire qui soit juge de paix pour chaque joueur. Tout se gère au cas par cas, fait-on comprendre dans l’entourage de l’équipe de Suisse.
Au-delà du temps de jeu en club, c’est surtout l’état physique qui importe le staff de l’équipe de Suisse. Un exemple, avec Seferovic, qui est remplaçant depuis deux matches à Galatasaray et n’a pas encore marqué en championnat cette saison. «Il n’a pas de souci à se faire, il est dans le rythme, il est en forme: on sait ce qu’il peut nous apporter dans les seize mètres», dit le sélectionneur.
Sauf qu’avec la préparation écourtée qui s’annonce pour ce Mondial (la Suisse partira le 14 novembre au Qatar, jouera le 17 un amical contre le Ghana avant d’entrer en lice le 24 face au Cameroun), il ne s’agira pas de prendre le risque d’avoir des joueurs qui ne pourront être dans le rythme qu’après le deuxième ou le troisième match.
Les jeunes? Pour plus tard
Une liste sans surprise, c’est une liste où il n’y a pas de jeune. Murat Yakin a appelé Dan Ndoye, principalement pour une question de profil, en plus de sa bonne forme à Bâle. En l’absence pour blessure de Zuber, le Vaudois de 21 ans peut incarner une solution sur une aile, avec son dynamisme et sa vitesse. Mais Ndoye est-il l’espoir helvétique le plus en vue depuis le début de saison?
Raisonnablement, non. Fabian Rieder est celui qui crève le plus l’écran. On pouvait supposer que le milieu de Young Boys soit appelé pour la première fois. «La concurrence dans son secteur de jeu est très forte», a justifié Yakin. Rieder était-il forcément moins légitime qu’un Michel Aebischer, par exemple? La prime au vécu collectif.
Pareil pour Ardon Jashari, devenu incontournable à Lucerne où il porte régulièrement le brassard malgré ses 20 ans. Lui n’affiche pas assez de matches internationaux à son compteur. Comme Rieder, il doit profiter des M21 pour engranger une certaine expérience. «Ces jeunes-là appartiennent à l’avenir, nous les observons», promet Yakin. Peut-être que l’un ou l’autre trouvera une place dans la liste élargie à 26 noms que le sélectionneur pourra emmener au Qatar.
La flexibilité façonne la liste
Dans cette sélection de septembre, tous les postes ne sont pas doublés. Alors que d’autres sont triplés. Ainsi, il n’y a qu’un seul latéral gauche de formation (Ricardo Rodriguez, alors que Lotomba n’a pas été appelé), mais quantité de milieux axiaux (Xhaka, Frei, Sow, Aebischer, Freuler). Quelle est donc la logique?
Probablement celle de la flexibilité. L’idée de Yakin, c’est de considérer qu’un joueur ne couvre pas forcément qu’un seul poste. Ainsi, Renato Steffen (qui était entré au poste de latéral droit contre le Portugal en juin) a probablement le profil pour être la doublure de Rodriguez, mais il reste une solution sur les ailes.
Okafor peut être utilisé dans différentes configurations: une attaque à un ou à deux ou sur un côté. Parmi les différents milieux, Yakin doit sans doute imaginer qu’en fonction des matches et des adversaires, il y a plusieurs rôles à imaginer. Djibril Sow avait par exemple été légèrement excentré côté droit en République tchèque. Sans que ce ne soit un succès, toutefois.
Des cas individuels à régler
Il ne fait guère de doute que Xherdan Shaqiri sera à la Coupe du monde. Mais dans quel état de forme se trouvera-t-il? Le meneur de jeu aura probablement terminé sa saison à la mi-octobre, puisque Chicago ne participera sans doute pas aux séries éliminatoires. Il aura ainsi un mois et demi devant lui avant de décoller pour Doha.
«Nous échangeons régulièrement avec Xherdan, a détaillé Yakin. Il a eu une petite blessure, mais il affiche surtout de superbes statistiques. Quand il est en forme, il reste important. C’est un des joueurs les plus créatifs, utile à la fois pour créer des actions et marquer des buts. Mais il y a en effet ce problème: il n’aura pas joué pendant un mois et demi. Nous cherchons la meilleure solution. Il y a différentes options qui se présentent à nous. L’important est qu’il garde la forme.» Parmi ces possibilités, il y aurait par exemple celle de le voir s’entraîner avec Lugano, club partenaire de Chicago.
Autre cas qui préoccupe, celui de Fabian Frei. Les médias alémaniques en ont déjà fait un débat: il n’a pas été aligné par Alex Frei durant trois matches de suite avec le FC Bâle. Et depuis, les Rhénans gagnent. Reste-t-il légitime pour l’équipe nationale? Pas de quoi perturber Yakin: «Deux ou trois matches sur le banc ne constituent pas un facteur déterminant, balaye le sélectionneur. Fabian nous a aidés dans une situation difficile l’année passée et il a une personnalité importante sur et en dehors du terrain. Il connaît son rôle. Et Bâle gagne avec lui en tant que remplaçant. Pourquoi pas avec nous?»
Un rôle que Mario Gavranovic a eu du mal à accepter. C’est donc ce dernier qui a choisi de laisser tomber, sans doute pas assez motivé par l’idée de n’être qu’un joker dans cette équipe nationale. Il a annoncé sa retraite internationale jeudi. C’est un profil que la Suisse perd. Mais elle doit avoir de quoi le remplacer. Espérons-le.