AgricultureL’UE bannit les dérogations pour les néonicotinoïdes
La justice européenne a donné jeudi un coup d’arrêt à l’usage des néonicotinoïdes, même pour la culture de la betterave.
Aucune dérogation n’est possible à l’interdiction européenne des semences traitées aux néonicotinoïdes, y compris dans les circonstances exceptionnelles invoquées pour protéger les betteraves, a estimé jeudi la Cour de justice de l’Union européenne, compromettant les «autorisations d’urgence» octroyées par plusieurs pays dont la France.
L’Union européenne (UE) a interdit depuis 2018 l’usage en plein champ, pour toutes les cultures, de trois néonicotinoïdes (clothianidine, thiaméthoxame et imidaclopride), accusés d’accélérer le déclin massif des colonies d’abeilles. Pour autant, onze États membres de l’UE ont adopté des «autorisations d’urgence» pour faire face à la baisse de leurs rendements face aux maladies, dont la Belgique et la France --qui s’apprêtait à renouveler sa dérogation pour la troisième année.
«Une situation très difficile»
Si demain la France renonçait à une nouvelle dérogation, les quelque 24’000 planteurs français de betteraves se retrouveraient dans «une situation très difficile», a réagi auprès de l’AFP Christian Durlin, producteur du nord de la France. Il redoute une chute des rendements et à terme de la production du pays, premier producteur de sucre européen.
Saisie par des ONG et un apiculteur du cas de six dérogations adoptées à l’automne 2018 par la Belgique, concernant notamment les semences, la Cour de justice de l’UE (CJUE) les a jugées illégales. Les arrêts de la CJUE s’imposent aux juridictions des Vingt-Sept.
Privilégier certains insecticides
Certes, a jugé la Cour, une disposition permet aux États membres d’autoriser de façon dérogatoire et temporaire l’usage de pesticides contenant des substances bannies dans l’UE, mais cette disposition «ne permet pas de déroger aux réglementations visant expressément à interdire la mise sur le marché et l’utilisation de semences traitées à l’aide de tels produits».
Les États membres sont tenus de privilégier les méthodes insecticides «à faible apport en pesticides», voire «non chimiques» quand c’est possible, et à recourir aux «pratiques et produits présentant le risque le plus faible pour la santé humaine et l’environnement parmi ceux disponibles», souligne la Cour.
Exception pour la betterave
En France, le Parlement avait autorisé fin 2020 le retour temporaire des néonicotinoïdes pour voler au secours de la filière betteravière après une récolte ravagée par la jaunisse, une maladie transmise par les pucerons verts. La loi précisait que les dérogations ne pourraient être accordées, jusqu’en juillet 2023, que pour les semences de betterave sucrière.
Une troisième dérogation pour la campagne de culture 2023 à partir de mars, après celles de 2021 et 2022, était sur le point d’être adoptée. Mais plusieurs organisations, dont la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), demandent au gouvernement d’y renoncer. Une réunion du Conseil français de surveillance des néonicotinoïdes, initialement prévue vendredi sur le sujet, a été reportée au 26 janvier.
«Grand jour pour les abeilles»
En Allemagne, des dérogations pour l’usage des néonicotinoïdes ont été accordées sur environ un tiers des surfaces betteravières en 2021, selon la fédération du secteur. Pour 14 pesticides interdits par Bruxelles, 236 dérogations ont été adoptées à travers l’UE ces quatre dernières années, la moitié concernant des néonicotinoïdes, estime l’association PAN Europe, corequérante devant la CJUE.
«La CJUE établit clairement que les substances interdites dans l’UE pour raisons sanitaires ou environnementales ne peuvent pas être réintroduites de manière détournée au niveau des États, une pratique devenue courante», observe l’avocat de l’ONG Antoine Bailleux. Le directeur de PAN Europe Martin Dermine a salué «un grand jour pour les pollinisateurs en Europe», qui «rappelle que le droit doit primer sur les intérêts de l’industrie des pesticides et des lobbies de l’agribusiness».