Charlie Winston: «Apprendre le français était la clé de ma liberté»

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InterviewCharlie Winston: «Apprendre le français était la clé de ma liberté»

L’artiste anglais sort un 5e album, «As I Am», intime, intelligent, bardé de tubes potentiels, avec la participation de Vianney. Rencontre sans chapeau.

Laurent Flückiger
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Laurent Flückiger

«As I Am», «Tel que je suis», c’est le titre du cinquième album de Charlie Winston, intime et intelligent. L’Anglais célèbre pour son titre «Like A Hobo» y parle de bonheur, semble serein. On ne l’a pas toujours connu ainsi. En 2015, il avait pensé tout quitter suite à des problèmes de santé. Mais chaque fois qu’on l’a revu, on a retrouvé cette simplicité, cette facilité d’accès. Avec une nouveauté pour notre rencontre au début de l’été à Lausanne: le natif du Suffolk parle à présent bien français. Avec un charmant accent.

Pour «As I Am», Charlie Winston a été inspiré par une citation du psychiatre autrichien Viktor Frankl (1905-1997). «Entre le stimulus et la réponse, il y a un espace: la liberté de choisir. Si on peut agrandir l’espace entre toutes les choses qui nous arrivent et notre réaction, on fait grandir notre surface de liberté», explique le chanteur. Un autre nom est important sur ce disque: Vianney. En réalisant l’album, ce dernier s’est beaucoup appliqué. Il en ressort plusieurs tubes potentiels qu’il interprétera sur scène, le 15 novembre à Genève (Alhambra) et le 16 décembre à Berne (Bierhübeli) avec un tout nouveau groupe.

Vous vous définissez comme un gagnant du Covid. Pour quelle raison?

J’ai fini la tournée de mon album précédent, fin 2019. J’avais commencé à écrire le nouveau quand il y a eu le lock-down. C’était spécial, j’ai pu me concentrer sur moi, faire un voyage intérieur. J’ai aussi profité d’être avec ma famille. C’est arrivé à un moment de ma vie où j’avais besoin d’un changement de perspective, et ça demande beaucoup de travail. Ce disque est une observation de moi-même, c’est pourquoi il s’appelle «As I Am».

Comment le Covid a-t-il nourri les thèmes de l’album?

J’ai joué mon dernier concert à Tahiti, fin mars 2020. J’étais de l’autre côté de la planète quand tous les pays ont commencé à fermer leurs frontières et j’étais un peu anxieux de ne pas pouvoir retrouver ma famille. Mais on a trouvé une solution. Quand je suis arrivé à la maison, je me suis remis à écrire tout de suite. J’ai très vite réalisé que je devais m’astreindre un planning strict où figurent les moments avec mes enfants et ma femme et les moments pour le travail. C’était aussi la première fois en cinq ans que je pouvais m’occuper de mon jardin. J’ai adoré faire mon compost: c’est un bon exemple de la mort qui redonne la vie.

Pourquoi avoir fait appel à une personne extérieure pour réaliser l’album? Et pourquoi Vianney?

J’ai passé toute l’année 2020 à écrire tout seul 25 chansons. Et quand avec Vincent Frèrebeau, le fondateur de mon nouveau label, Tôt ou Tard, nous avons évoqué la réalisation du disque, il m’a demandé s’il pouvait envoyer deux ou trois morceaux à Vianney. J’étais intéressé à le rencontrer, ce que je n’avais encore jamais fait. En studio, je me suis rendu compte qu’il avait en réalité reçu toutes les chansons. Il était déjà sur le même bateau et il était passionné. C’était évident que ça marche avec lui, parce qu’on a beaucoup de choses en commun. Au final, c’était juste naturel. Je n’ai jamais pensé travailler avec Vianney, mais ça a bien collé.

Vianney dit, d’ailleurs, avoir passé un temps fou sur votre album.

Les sessions étaient espacées parce qu’il avait «The Voice», sa tournée, l’arrivée de son bébé, et je me greffais dans ses rares moments de libres, mais l’application qu’il a eue à faire ce disque était impressionnante. Il m’a dit qu’il ne savait pas pourquoi il y avait consacré autant de temps, et même sa femme lui disait qu’il était obsédé par cet album. Je crois que, quand il fait quelque chose, il veut le faire bien.

«Je me suis imaginé à 84 ans en train de parler à mon moi d’aujourd’hui. C’était très difficile, j’y ai réfléchi une semaine.»

Charlie Winston

Faire appel à un artiste issu de la scène française, ça démontre l’histoire d’amour que vous avez avec ce pays depuis treize ans et «Like A Hobo»?

Oui, et c’est toujours plus le cas. Quand j’ai sorti «Hobo», j’étais vraiment un artiste britannique. Maintenant c’est plus flou, je suis Franco-Anglais. Mon épouse est Française, mes enfants parlent les deux langues, j’ai des amis anglais et français, c’est très mélangé. J’habite en France (ndlr.: il vit à Nice) depuis cinq ans et c’était très important que j’apprenne le français, car c’est la clé de ma liberté.

Dans le morceau «Exile», vous évoquez le fait que vous n’êtes pas connu dans votre pays d’origine. Aujourd’hui, vous l’avez accepté?

La question se posera toujours. Je réalise maintenant que ce n’est pas ça la quête du bonheur. Pour être honnête, je ferme petit à petit la porte sur l’Angleterre, mais je prends mon temps.

«Letter From My Future Self» est une lettre pour vous-mêmes écrite en 2063. Qu’est-ce qu’elle contient?

Dans ma vie, je me suis écrit beaucoup de lettres. Je les mettais dans une enveloppe et je me les envoyais. C’était très utile pour la créativité mais aussi pour savoir ce que je veux à l’avenir. On a toujours l’impression que plus on est âgé plus on est sage. J’ai voulu prendre le contre-pied. Je me suis imaginé à 84 ans en train de parler à mon moi d’aujourd’hui. C’était très difficile, j’y ai réfléchi une semaine. J’ai trouvé plusieurs réponses et, au final, j’ai compris que si j’ai 84 ans, c’est que je suis encore vivant, donc je peux arrêter de m’inquiéter. C’est quelque chose de très dur à appliquer, mais j’ai l’impression qu’aujourd’hui je me comprends mieux.

À 84 ans, vous serez encore sur scène?

Peut-être. Seulement s’il y a un peu de monde pour me voir. Aller sur scène, c’est partager quelque chose et non pas avoir juste la lumière sur moi.

À qui s’adresse «I’ll Never Hold You Back» (Je ne te retiendrai jamais)?

À ma femme. Je l’ai rencontrée à Los Angeles. Et quand nous sommes partis en France, ça faisait huit ans qu’elle n’y était pas retournée. Elle devait trouver sa place. Moi, je suis la star, et j’en prends beaucoup. Dans une relation, l’espace de chacun est quelque chose d’important, mais ce n’est pas évident de trouver l’équilibre chaque jour. On veut retenir les autres pour notre propre bonheur et j’ai réalisé que c’était mieux pour mon bonheur de la laisser faire. Plus elle est libre, plus libre je suis. Il y a plusieurs interprétations de l’amour. Pour moi, c’est une action, plus tu donnes, plus tu as pour toi. «I’ll Never Hold You Back», c’est ne pas être dépendant d’elle.

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