FranceDes incidents dans une centrale nucléaire auraient été dissimulés
Une juge d’instruction de Marseille mène des investigations autour de soupçons «d’obstacle au contrôle des enquêteurs» et «mise en danger d’autrui», après les accusations d’un ancien salarié en poste à la centrale de Tricastin.
Des incidents à la centrale nucléaire de Tricastin (Drôme) ont-ils été passés sous silence? Une information judiciaire contre X a été ouverte récemment au Pôle de santé publique de Marseille. Elle vise une douzaine d’infractions au Code pénal et au Code de l’environnement pour des faits courant de début 2017 à fin 2021, a appris l’AFP, auprès d’une source proche de l’enquête. Le parquet de Marseille a confirmé cette information.
Parmi ces infractions, figurent «mise en danger d’autrui», «non-déclaration d’incident ou d’accident», «faux et usage de faux», «déversement dans l’eau par violation manifestement délibérée d’une obligation de prudence d’une substance entraînant des effets nuisibles», «obstacle au contrôle des inspecteurs de la sûreté nucléaires» ou «harcèlement moral».
En plein débat sur la place du nucléaire en France, Hugo*, un ancien cadre de la centrale qui sollicite depuis le statut de lanceur d’alerte, avait déposé une simple plainte en octobre 2021 contre EDF et des membres de sa hiérarchie. Il les accusait de l’avoir placardisé pour avoir dénoncé une «politique de dissimulation» d’incidents de sûreté, ces dernières années. D’après sa plainte, diverses anomalies n’auraient pas été déclarées à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ou l’auraient été de façon à «minimiser les événements».
«Extrême gravité»
Confier d’emblée les investigations à une juge d’instruction «traduit l’extrême gravité des faits dénoncés par notre client, qui avait alerté en vain son employeur et averti le ministère de l’Écologie», ont réagi ses avocats Vincent Brengarth et William Bourdon. «L’ouverture d’une information judiciaire pour de telles qualifications, à l’encontre d’un opérateur économique de premier plan, constitue une décision exceptionnelle», estiment-ils.
Entré à EDF en 2004, Hugo devient chef de service à Tricastin, en septembre 2016. Mais rapidement, selon sa plainte, le climat se révèle «particulièrement tendu, dans la perspective de la visite décennale», une étape déterminante pour obtenir l’autorisation de poursuivre l’exploitation au-delà de quarante ans. «Un certain nombre d’incidents au sein de la centrale ont eu lieu, contribuant à la dégradation des relations» entre Hugo et son supérieur hiérarchique, selon la plainte.
Sollicité par l’AFP, EDF n’a pas souhaité faire de commentaires.
«Arbitrage interne»
L’ASN n’a pas réagi dans l’immédiat mais en novembre, Christophe Quintin, inspecteur en chef, avait affirmé à l’AFP, que les inspections à la centrale du Tricastin n’avaient «pas amené à constater d’événements qui auraient été masqués». Selon lui, il pouvait y avoir «un arbitrage interne à la centrale» sur les déclarations d’incident.
L’ouverture de cette enquête intervient alors qu’EDF est confronté à de sérieux problèmes de corrosion de son parc nucléaire. À ce jour, douze réacteurs sur 56 sont à l’arrêt pour un phénomène de «corrosion sous contrainte» (CSC) avérée ou soupçonnée. Ces difficultés tombent à un moment où le groupe est confronté à toute une série de défis cruciaux pour son avenir: assurer la transition environnementale et la souveraineté énergétique de la France, revenue au premier plan avec la guerre en Ukraine.