L’EPFL fait une découverte sur les traces de Jacques Dubochet

Publié

MicroscopieL’EPFL fait une découverte sur les traces de Jacques Dubochet

Les scientifiques ont mis au point une technique pour observer comme jamais auparavant ce qui se passe dans des tissus figés selon la fameuse méthode du Nobel vaudois.

Comm/M.P.
par
Comm/M.P.
Anders Meibom, Florent Plane et Stéphane Escrig devant leur sonde cryogénique.

Anders Meibom, Florent Plane et Stéphane Escrig devant leur sonde cryogénique.

EPFL/Alain Herzog

Une technique d’observation de tissus biologiques développée à l’EPFL ouvre un nouveau champ de recherches plein de promesses. Unique au monde, elle permet l’analyse de tissus préparés selon la méthode mise au point il y a une quarantaine d’années par Jacques Dubochet, Prix Nobel de chimie et professeur honoraire à l’Université de Lausanne (UNIL).

Il aura fallu près de dix ans de recherche au professeur Anders Meibom et le développement de plusieurs prototypes avant de crier victoire. Son équipe est aujourd’hui parvenue à améliorer les fonctionnalités d’une sonde ionique, nommée NanoSIMS (nanoscale secondary ion mass spectrometry), en la transformant en CryoNanoSIMS. Il s’agit d’un instrument unique au monde capable d’analyser la composition chimique ou isotopique de tissus biologiques préalablement vitrifiés. Cette technique de refroidissement est au fondement de la cryomicroscopie électronique moderne, qui permet de préserver tous les constituants d’un échantillon biologique dans leur état post-mortem le plus pur. Jacques Dubochet, le plus célèbre des biophysiciens vaudois, avait développé cette «vitrification de l’eau» dans les années 1980. Elle lui a valu le Prix Nobel de chimie en 2017.

Voir si un médicament pénètre ou non

«Nous sommes désormais en mesure d’obtenir des images précises de l’endroit où, dans une cellule ou un tissu, un nutriment spécifique est stocké ou utilisé, et de l’endroit où un médicament pénètre ou ne pénètre pas. Il n’y a actuellement pas d’autre moyen d’obtenir ces informations», explique Anders Meibom, directeur du Laboratoire de géochimie biologique de l’EPFL, au sein de la Faculté de l’environnement naturel, architectural et construit, et également professeur à l’UNIL.

La CryoNanoSIMS offre par exemple la possibilité de visualiser directement dans un tissu biologique préparé par cryogénie la distribution subcellulaire de petites molécules essentielles pour le traitement d’infections bactériennes par des antibiotiques ou du cancer. La méthode est extrêmement précise, car la cryogénisation permet de figer les molécules, aucune molécule n’est ainsi perdue ou déplacée. L’instrument permet aussi de visualiser la distribution des oligo-éléments dans les tissus végétaux, une information cruciale pour l’optimisation de la croissance des plantes, la production agricole et le suivi de contaminants environnementaux dans le sol et les biofilms.

Les félicitations du Nobel vaudois

«La CryoNanoSIMS ouvre de toutes nouvelles perspectives de recherche et dans mon laboratoire, nous développons actuellement un important programme scientifique autour de cette capacité unique», souligne le professeur Meibom. La sonde est abritée dans un bâtiment de l’Université de Lausanne. Elle fait partie du Centre d’analyse de surface avancée (CASA), un consortium de laboratoires de l’UNIL et de l’EPFL qui collaborent à l’utilisation d’équipements de pointe dans le cadre d’un large éventail de sujets de recherche allant de la géologie à la biologie. Contacté, Jacques Dubochet salue de son côté «cet élargissement de la chimie biologique.»

La technologie de la NanoSIMS a elle-même révolutionné le monde de l’imagerie lors de sa commercialisation, il y a une vingtaine d’années. Basée sur la projection d’un faisceau d’ions sur un échantillon, elle permet d’observer des éléments à une résolution de 100 nanomètres. Cependant, les méthodes de préparation d’échantillons associées à l’instrument entraînaient jusqu’ici un certain degré de déformation de la morphologie des tissus et une perte de composés solubles.

Pour surmonter ces limitations, l’équipe d’Anders Meibom a mis en place un processus de préparation d’échantillons cryogéniques et équipé la NanoSIMS d’une nouvelle partie physique comprenant des extensions permettant d’accueillir des échantillons cryogénisés et une cuve d’azote liquide. «Il a été très difficile de transformer un instrument existant fonctionnant à température ambiante en un instrument capable d’analyser des échantillons de tissus congelés, tout en maintenant l’échantillon froid et stable pendant des heures et des heures, pour permettre d’obtenir des informations entièrement nouvelles», explique le professeur.

Pour étudier le blanchiment des coraux

Les auteurs de l’étude donnent un exemple de ce que permet la CryoNanoSIMS dans la revue «BMC Biology» à l’aide d’une hydre, un animal proliférant dans l’eau douce, y compris en Suisse. Grâce à leur sonde, ils ont pu observer directement comment cet animal absorbe et assimile l’ammonium, un nutriment essentiel pour de nombreux organismes aquatiques. L’équipe d’Anders Meibom va prochainement appliquer cette étude aux coraux, l’une des expertises de son laboratoire, pour mieux comprendre comment s’opère la symbiose entre les algues et le corail et identifier les éléments qui déclenchent leur blanchissement et leur mort.

Ton opinion

1 commentaire