IsraëlUne Roumaine de 86 ans sacrée «Miss Shoah 2021»
Mardi soir, à Jérusalem, Selina Steinfeld a coiffé au poteau neuf candidates, toutes survivantes du génocide juif. Ce concours controversé est organisé tous les ans depuis 2012.
Les robes de soirée brillent sous les projecteurs, les brushings sont compacts, les talons hauts, les diadèmes étincelants. Mais sur le podium, ce soir-là à Jérusalem, les Miss qui défilent ne sont pas comme les autres: elles ont toutes survécu à la Shoah. «Merci beaucoup, je suis émue, je n’ai pas de mots», souffle dans le micro tendu par une mannequin longiligne Selina Steinfeld, chevelure rouge, robe dorée et lourd collier de perles. Cette rescapée du génocide juif, née en 1935 en Roumanie, a été couronnée mardi soir, «Miss Shoah 2021» face à neuf autres concurrentes.
Organisé depuis 2012 par l’association caritative israélienne Yad Ezer La-Haver («Une main tendue à un ami» en hébreu), ce concours de beauté inédit veut «donner aux rescapées de la Shoah un peu de l’enfance qu’on leur a volée», explique Shimon Sabag, fondateur de l’organisation.
Diadème sur la tête, on parle pogroms et Josef Mengele
À tour de rôle sur le podium d’une salle de Jérusalem, les dix concurrentes sélectionnées par Yad Ezer racontent brièvement leur histoire. Certaines ne veulent pas lâcher le micro, quelques-unes ont la voix étreinte par l’émotion. Comme dans un concours de beauté ordinaire, les candidates appellent à «la paix dans le monde». Mais la mélodie de «Dancing Queen» d’ABBA, l’écran géant, le jury composé de mannequins et de femmes d’affaires israéliennes aux robes d’un luxe tapageur, n’éclipsent jamais l’omniprésente Shoah. Diadème sur la tête, on parle des pogroms, de camps de travail, de la famine et de Josef Mengele, médecin nazi d’Auschwitz, surnommé l’«ange de la mort» pour ses expérimentations sur les déportés.
Organisé quelques semaines avant le concours de Miss Univers prévu en décembre à Eilat dans le sud d’Israël, celui des rescapées n’a pas manqué de susciter une controverse dès sa création, certaines organisations considérant que le génocide était un sujet trop sérieux pour être célébré sous les paillettes.
Ridicule et grotesque pour certains rescapés
Pour Colette Avital, présidente d’un regroupement d’organisations israéliennes d’aide aux rescapés, les femmes qui participent au concours ont subi de telles souffrances, «inscrites dans leur chair», qu’«on ne peut pas (leur) faire (faire) des concours de beauté». «C’est ridicule, c’est grotesque et c’est un manque de respect envers elles», estime-t-elle.
Arrivée à la deuxième place, Marcelle Epstein, 80 ans, rejette les critiques et dit avoir du «plaisir à voir des vieilles qui se font plaisir». Placée dans un orphelinat du sud de la France pendant la guerre, cette pétulante Marseillaise arrivée en 1948 en Israël s’estime chanceuse d’avoir échappé aux nazis.
Heureuse d’avoir été choisie première dauphine de Miss Shoah, elle estime que le concours, au-delà de la simple beauté des octogénaires, devrait toujours primer la candidate la plus âgée. «Donnez-lui le sentiment qu’elle est une reine», lance-t-elle dans un français teinté d’un accent d’hébreu: «Combien de temps peut-elle vivre encore?»