AlgérieL’ex-président Bouteflika inhumé avec moins d’honneurs que ses prédécesseurs
Au cimetière d’El Alia à Alger, le président, des membres du gouvernement et des diplomates étrangers sont présents.
L’ex-président algérien Abdelaziz Bouteflika a été inhumé dimanche à Alger dans un carré du cimetière El Alia, réservé aux héros de la guerre d’indépendance, mais il a reçu bien moins d’honneurs que ses prédécesseurs. Chassé du pouvoir en 2019, Abdelaziz Bouteflika (1999-2019) qui détenait le record de longévité à la tête de l’Algérie, s’est éteint vendredi à l’âge de 84 ans dans sa résidence médicalisée de Zeralda dans l’ouest d’Alger.
La dépouille a été portée sur une trentaine de kilomètres jusqu’au cimetière d’El Alia, sur un affût de canon tracté par un véhicule blindé couvert de fleurs, encadré de motards en livrée blanche.
Aux côtés de la famille, le président Abdelmadjid Tebboune, qui fut Premier ministre sous Bouteflika, le gouvernement au complet, le chef d’état-major de l’armée, et des diplomates étrangers étaient présents, selon l’agence officielle APS.
Abdelmadjid Tebboune a déposé une gerbe de fleurs sur la tombe et des salves ont été tirées par la Garde républicaine. À l’issue de la cérémonie, quelque 2OO sympathisants du président défunt se sont recueillis et ont fleuri la sépulture, selon un photographe de l’AFP.
Pour Rokia, 49 ans, membre d’une assemblée populaire communale, c’était «notre deuxième père»: quand il était devenu président en 1999, à la fin de la décennie noire de guerre civile (1992-2002, 200’000 morts), «il y avait des massacres, beaucoup de sang a coulé, mais il a consacré sa vie à rendre la paix et la sécurité en Algérie», dit-elle avec reconnaissance. Pourtant, illustration d’un certain embarras officiel, l’exposition de la dépouille initialement prévue au Palais du peuple d’Alger, avait été annulée. Tous ses prédécesseurs et son ex-chef d’état major Ahmed Gaïd Salah avaient eu droit à cet honneur.
Le ministre des moudjahidine (les anciens combattants), Laïd Rebigua, a prononcé l’oraison funèbre de celui qui fut aussi, dans les années 1970, un flamboyant chef de la diplomatie algérienne pendant 14 ans. La dépouille a ensuite été mise en terre au carré des Martyrs, aux côtés des figures de la guerre d’indépendance (1954-1962).
«La mort d’un simple quidam» ?
Affaibli et aphasique depuis son AVC en 2013, l’ex-président avait été contraint à la démission le 2 avril 2019, sous la pression des manifestations massives du mouvement pro-démocratie Hirak contre son intention de briguer un 5e mandat consécutif.
Au terme de plusieurs heures de flottement sans réaction officielle, Abdelmadjid Tebboune, au pouvoir depuis fin 2019, avait fini par décréter samedi la mise en berne du drapeau national et un deuil de trois jours pour honorer «le moudjahid Abdelaziz Bouteflika».
Ces atermoiements illustrent, selon les observateurs, des craintes de manifestations hostiles contre un ex-président à l’image ternie. «Franchement, j’ai mieux à faire que de m’intéresser aux obsèques d’un président qui a laissé le pays dans un état lamentable. Je préfère m’occuper de mes oiseaux», a déclaré dimanche à l’AFP Farès, 62 ans, un retraité des finances qui habite à Alger.
Pour Islam, 45 ans, postier dans la capitale, «cet enterrement est un non-événement. Autour de moi, personne n’en parle en tout cas. C’est comme s’il s’agissait de la mort d’un simple quidam, qui n’a jamais été président. Les Algériens donnent l’impression d’avoir oublié Bouteflika, d’avoir tourné la page de son règne».
«Énormément de haine»
«Il y a énormément de haine autour de la figure de Bouteflika sur les réseaux sociaux», a indiqué à l’AFP Isabelle Werenfels, chercheuse suisse spécialiste du Maghreb à l’institut allemand SWP. Cela a rendu les décideurs actuels «nerveux» sur l’organisation des obsèques, selon elle, car «parmi les élites politiques, économiques et administratives, il y a un nombre assez important de personnes qui sont des produits ou des profiteurs de l’ère Bouteflika».
Tous les anciens chefs d’État ont eu droit à des funérailles solennelles et à huit jours de deuil national, à l’instar du premier président de l’Algérie indépendante Ahmed Ben Bella (1963-1965) et du troisième chef d’État Chadli Bendjedid (1979-1992), tous deux décédés en 2012. Sans parler des funérailles grandioses du mentor de Bouteflika, l’ex-président Houari Boumedienne (1965-1978), marquées en 1978 par le tir de cent coups de canon et qui rassemblèrent des centaines de milliers de personnes.
Après l’annonce du décès du président déchu vendredi par une simple brève lue à la télévision nationale, les médias officiels lui ont réservé un traitement minimaliste. Le puissant chef de la diplomatie algérienne, Ramtane Lamamra, un ancien ministre sous Bouteflika, a lui attendu jusqu’à dimanche pour transmettre ses condoléances à la famille.
À l’étranger, le roi du Maroc Mohammed VI a adressé un message de «compassion» à Abdelmadjid Tebboune, en dépit de fortes tensions entre les deux pays. Emmanuel Macron a qualifié dimanche l’ex-président algérien Abdelaziz Bouteflika de «figure majeure» de l’Algérie contemporaine et de «partenaire exigeant pour la France» durant ses vingt années au pouvoir. Le chef de l’État français a adressé, dans un communiqué publié par l’Élysée, «ses condoléances au peuple algérien» et déclaré rester «engagé à développer des relations étroites d’estime et d’amitié entre le peuple français et le peuple algérien».