TélévisionDes marionnettes à l’humour féroce et décapant sont de retour
Une exposition rend hommage aux marionnettes de l’émission satirique britannique «Spitting Image», qui a inspiré des programmes télévisés comme «Les Guignols de l’info».
Margaret Thatcher fumant le cigare ou la reine mère caricaturée en buveuse de gin invétérée... Pendant douze ans, entre 1984 et 1996, «Spitting image» (portrait craché, en français), s’est amusée à caricaturer les responsables politiques, les sportifs, les artistes, et même la famille royale. Au sommet de son succès, l’émission, créée par Peter Fluck et Roger Law, attirait 15 millions de téléspectateurs chaque semaine sur ITV.
L’exposition, organisée à partir de samedi à l’université de Cambridge, présente certaines marionnettes – même si la plupart ont été vendues aux enchères il y a plus de 20 ans – mais aussi des scénarios originaux, des dessins et des lettres de plaintes reçues par l’émission durant ses 18 saisons.
«Elle reflétait sa nature»
Parmi les cibles récurrentes du programme, l’ancien Premier ministre conservateur John Major, représenté dans un quotidien ennuyeux. Un épisode resté célèbre le montrait en train de manger des petits pois avec son épouse Norma. «Je l’ai rencontré une fois et c’était un homme grand et plutôt beau, alors que sa marionnette était petite, grise et ennuyeuse. Elle ne lui ressemblait pas mais d’une certaine manière, elle reflétait sa nature», raconte à l’AFP John Lloyd, qui produisait l’émission.
Margaret Thatcher, prédécesseure de John Major à Downing Street, ne s’intéressait, elle, pas beaucoup à sa marionnette, qui la montrait en femme toute puissante, entourée d’une bande d’hommes ministres, tous faibles et maladroits. L’ancien président américain Ronald Reagan apparaissait en idiot manquant de peu de faire éclater une guerre nucléaire, tandis que le dernier président de l’URSS Mikhaïl Gorbatchev arborait sur le crâne une faucille et un marteau en lieu et place de sa caractéristique, et bien réelle, tache de naissance.
Accusée de dépasser les limites
Le programme réussissait «à combiner la politique, le quotidien, l’anarchie, le surréalisme, le ridicule... C’était la satire la plus populaire jamais produite», souligne Chris Burgess, commissaire de l’exposition. Selon lui, une grande partie de son succès résidait dans le talent de ses auteurs pour choisir une personne considérée comme ordinaire et «d’attraper un nez ou un petit quelque chose dans les yeux et d’un coup, vous ne pouviez plus jamais la prendre au sérieux».
L’émission a souvent été accusée de dépasser les limites, notamment lorsqu’elle s’en prenait à la famille royale, et en particulier à la reine Elizabeth II. «Personne n’avait jamais caricaturé directement et en trois dimensions la famille royale, et surtout pas la reine. Mais si vous regardez la manière dont nous avons caricaturé la famille royale, la reine était l’héroïne (...) gentille, sensée, avec un esprit libéral», raconte John Lloyd. Le producteur juge que ce serait «une bonne idée» d’avoir une émission satirique comme «Spitting Image» de nos jours.
Le Royaume-Uni d’aujourd’hui apparait très divisé, par exemple sur le Brexit, comme la société britannique l’était dans les années 1980, notamment sur la politique du gouvernement conservateur de Margaret Thatcher, estime-t-il. «Aujourd’hui, les gens sont prompts à prendre parti. Je pense que c’est en partie dû au fait qu’il n’y a pas assez de satire à la télévision», ajoute-t-il, estimant que «Spitting Image» arrivait à se frayer un chemin dans un débat public parfois tendu, et à faire rire les gens.