Bande dessinéeTrondheim saute de Lapinot au Marsupilami
Le très prolifique auteur était de passage à Delémont et nous explique ses processus de créations toujours aussi surprenants.
- par
- Michel Pralong
C’est l’un des auteurs de BD à la bibliographie les plus impressionnantes. Outre ses propres albums, il écrit des scénarios pour de nombreux dessinateurs et est l’un des fondateurs de la maison d’édition L’Association. Bref, c’est quelqu’un qui compte dans la BD. Et avec lui, on est toujours surpris, mais jamais déçu. Il avait ainsi tué son héros principal, Lapinot, avant de le faire revivre des années plus tard. Il s’est lancé avec son complice Joann Sfar dans la tentaculaire série «Donjon», elle aussi longtemps arrêtée et recommencée il y a peu. Présent à Delémont’BD, c’était l’occasion rêvée de lui parler de son dernier Lapinot et de ses projets.
Encore une fois, Trondheim a surpris. Le tome 8 des aventures de son lapin est un tout petit bouquin, format à l’italienne, sans paroles. Et difficile de trop en parler, car il recèle une surprise. «Disons que j’avais envie d’offrir des vacances à mon héros, sourit Lewis Trondheim. Tout est parti de l’achat d’un stylo-feutre gris. Je l’ai essayé sur un petit carnet avec des montagnes au loin. Et j’aimais bien. Le lendemain, j’ai fait une autre case avec Lapinot devant un souterrain et ainsi de suite. Le lecteur doit se demander ce qui va se passer. Pour le titre, comme je lui offre des vacances et que je ne pouvais pas trop en révéler, j’ai choisi une date. Mes enfants étant du 23 juillet et du 8 août, j’ai tapé au milieu».
Quant au format, vu le peu de pages, Trondheim a voulu un petit livre pas cher. «Et cela embête toujours les libraires qui ne savent pas ou le placer», s’amuse-t-il. Et cela donne un petit bijou délicieux.
Mais pourquoi avoir tué Lapinot en 2003 puis l’avoir ressuscité en 2017? «J’avais envie de faire autre chose et j’aimais bien l’idée d’avoir mon personnage principal qui meure. Après, quand je vois des héros repris par des auteurs après la mort de leur créateur, je me suis demandé qui pourrait reprendre Lapinot après ma disparition. Et puis je me suis demandé comment moi je m’en sortirai pour le reprendre moi-même. J’ai fini par le faire et l’est ressuscité dans un univers parallèle».
La vengeance Ralph Azham
Pour l’arrêt de la série Donjon, c’est le coauteur Joann Sfar qui avait demandé une pause, notamment parce qu’il était sur son film «Gainsbourg, vie héroïque». «Et je découvre qu’il abandonne notre série d’heroïc fantasy pour fait de son côté une BD d’heroïc fantasy. Ni une, ni deux, je crée «Ralph Azham» de mon côté et j’en fais 12 tomes».
C’est cela la création selon Trondheim, les idées viennent d’un peu n’importe où et débouchent sur un torrent d’imagination. «Ma prochaine série, par exemple. Fabrice Tarrin («Le tombeau des Champignac», «Violine») vient travailler dans mon atelier mais il était bloqué sur sa série. Je lui écris des gags en une page pour lui changer les idées et le relance. Mais il me dit: dessine-les toi! Je propose les histoires à Guillaume Bianco («Zizi chauve-souris») qui me dit pareil. Alors j’en dessine une page, puis deux et en 6 mois j’en ai fait 60. Cela va donner une série en 4 ou 6 albums qui raconte l’histoire d’une petite fille qui est la seule à l’école à voir qu’un petit garçon est en fait un orc avec sa massue. Cela s’appellera «Aurore et l’Orc» chez Albin Michel».
L’ancêtre du Marsupilami
Et quand il ne fait pas ses propres albums, il écrit des scénarios pour d’autres. Il va ainsi mettre en scène le fameux Marsupilami. «C’est devenu possible quand Dupuis a récupéré les droits du personnage créé par Franquin et l’éditeur cherche des histoires pour le faire revivre en dehors de la série principale que fait Batem. Moi, je ne voulais pas m’inscrire dans cet univers que l’on connaît du Marsu: parce qu’à part Houba houba et défendre sa famille, on a vite fait le tour des sujets. Alors il sera question de l’ancêtre du Marsupilami à l’époque des conquistadors, dessiné par Alexis Nesme, avec qui j’ai fait le Mickey «Horrifikland», qui en a déjà dessiné une quinzaine de pages».
Au moment de partir, quand on lui fait remarquer qu’il est toujours aussi prolifique, Lewis Trondheim répond: «Oh non, je me suis bien calmé». On ne le croit qu’à moitié.