Genève: Le Conseil d’Etat refuse de nommer le recteur canadien

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GenèveLe Conseil d’Etat refuse de nommer le recteur canadien

Le processus de sélection du recteur de l’Université va recommencer à zéro. Le gouvernement a rejeté le candidat choisi par l’alma mater, Eric Bauce.

Jérôme Faas/David Ramseyer
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Jérôme Faas/David Ramseyer
Eric Bauce ne sera pas le nouveau recteur de l’Université de Genève.

Eric Bauce ne sera pas le nouveau recteur de l’Université de Genève.

Coup de tonnerre dans le ciel académique! Le Conseil d’Etat a refusé de nommer le recteur canadien que l’Assemblée de l’Université avait choisi. Eric Bauce, ingénieur forestier et ancien vice-recteur de l’Université de Laval, au Québec, ne succédera donc pas à Yves Flückiger. Il avait été désigné mercredi 11 janvier par l’organe de sélection, composé de 45 membres issus des différents corps de l’université. Le processus de désignation avait passablement agité le milieu universitaire et politique dès lors que le candidat issu du sérail, Jérôme Lacour, avait été écarté.

Pas de candidat hors-sol

Le Conseil d’Etat a expliqué ce mercredi qu’il ne pouvait entériner cette proposition «en dépit des qualités du candidat et indépendamment de sa nationalité». Cette décision était pressentie: en novembre déjà, la conseillère d’Etat chargée de l’Instruction publique (DIP), Anne Emery-Torracinta, avait indiqué à l’Assemblée de l’Unige qu’il fallait «une personnalité issue du canton ou pour le moins d’une haute école romande». Deux éléments ont donc motivé l’Exécutif à faire barrage à Eric Bauce. D’une part, qu’il ne soit pas familier avec le système suisse. D’autre part, son âge.

Le gouvernement a ainsi «pris ses responsabilités» et invoqué «le contexte actuel ainsi que les enjeux et défis auxquels les hautes écoles suisses doivent faire face»; notamment la «pression budgétaire» qui pèse sur elles et «l’érosion des relations bilatérales entre la Confédération et l’Union européenne». Il fallait donc un recteur qui puisse agir vite dès son arrivée à la tête de l’alma mater, grâce à une «connaissance fine des mécanismes de financement de l’enseignement et de la recherche» dans notre pays, et grâce à un réseau local affirmé.

Manque de connaissance du système suisse

Aux yeux du Conseil d’Etat, Eric Bauce ne présentait pas ces caractéristiques et seul un recteur du cru est à même d’évoluer rapidement et efficacement dans ce contexte. «À notre connaissance, le candidat n’avait ces derniers jours pris encore aucun contact pour constituer une équipe qui aurait pu, par exemple, l’aider à appréhender le fonctionnement du système helvétique», a illustré le président du gouvernement, Mauro Poggia. Dans sa candidature, le Canadien a par ailleurs présenté «sa vision de ce que devrait être une haute école en général, plutôt qu’une vision pour l’Université de Genève en particulier.» 

Par ailleurs, le Conseil d’Etat a relevé qu’Eric Bauce, puisqu’il est âgé de 62 ans, «devrait bénéficier d’une dérogation pour être nommé et ne pourrait effectuer un deuxième mandat de quatre ans».

L’Assemblée n’a pas assez prêté l’oreille aux multiples «signaux» et aux différentes prises de parole publiques qui ont répercuté à maintes reprises les critères d’un profil idéal, a souligné l’Exécutif. Faut-il dès lors les inscrire formellement, dans un texte par exemple? «Évitons de prendre des décisions à chaud, a tempéré Anne Emery-Torracinta. Nous allons discuter.»

On recommence à zéro

Une nouvelle procédure de sélection devra donc être menée «dans les meilleurs délais», a indiqué le Conseil d’Etat. Ce ne devrait pas être chose aisée: le fait que cette Assemblée, créée en 2008 par la loi sur l’université, ait été déjugée ouvre une véritable crise institutionnelle. Des rumeurs de démissions de ses membres ont ainsi été relayées par «Le Temps». 

La semaine passée, l’instance expliquait par ailleurs n’avoir reçu qu’une seule candidature interne. Après que son choix s’était porté sur Eric Bauce, elle avait reçu le soutien du Conseil stratégique de l’Université de Genève. En vain. Tout est à recommencer. 

L’esprit de la loi «remis en question»

L’Assemblée de l’Université a indiqué par communiqué «prendre acte avec gravité de la décision du Conseil d’Etat». Elle juge que «le signal envoyé remet en question l’esprit de la loi sur l’Université (…) qui a introduit l’autonomie» de l’alma mater. Elle estime que le refus de l’exécutif «dénote une défiance envers une Assemblée participative, représentante des différents corps de l’Université (ndlr: 10 étudiants, 20 professeurs, 10 collaborateurs de l’enseignement et de la recherche et 5 membres du personnel administratif et technique), qui a mené une procédure dans le strict respect du cadre légal, et opéré un choix en toute indépendance.» L’Assemblée se réunira très prochainement, vraisemblablement en début de semaine prochaine, pour «discuter des conséquences de cette décision». Une «crispation» qu’assume Anne Emery-Torracinta: «C’est souvent le cas lorsque deux instances différentes participent à un même processus. Je note aussi que si nous avions accepté la candidature, il y aurait eu beaucoup de tensions au Grand Conseil, cette fois, avec une avalanche d’interventions parlementaires pour fustiger le profil d’Eric  Bauce.» Enfin, la magistrate a relevé que «autonomie ne veut pas dire indépendance totale. Le Canton assume environ la moitié du budget de l’Université et la loi dit qu’en matière de nomination, l’Exécutif a son mot à dire.» 

Nouveau recteur d’ici fin 2023?

Dès lors que les critères de réseau, de connaissance du contexte académique suisse et d’âge ont été exposés, précisés et répétés, la procédure de nomination d’un nouveau recteur pourrait prendre «moins d’un an», espère la conseillère d’Etat Anne Emery-Torracinta. Selon elle, l’intense débat de ces dernières mois a sans doute provoqué un «électrochoc» au sein de la communauté universitaire; «le profil recherché est clair, cela devrait permettre d’avancer plus vite sur le dossier.» La magistrate prône aussi une réduction du nombre de participants au processus de sélection. Les 45 membres de l’Assemblée y ont pris part: «C’est trop!», selon la cheffe du DIP.  Si l’oiseau rare se fait cependant trop attendre, le Conseil d’Etat n’exclut pas «un mandat de transition» au poste de recteur.

«Manque de transparence»

L’association du personnel administratif et technique de l’Université a expliqué en soirée regretter «les modalités retenues» pour la désignation du recteur, notamment «le manque de transparence dans le processus de recrutement par l’Assemblée de l’Université». Elle estime ainsi que rien n’imposait la confidentialité absolue sur les candidatures, les programmes et la structure des entretiens. Selon elle, cette opacité a «coupé le lien entre les élus de l’Assemblée et les différents corps qu’ils représentent», empêché un débat constructif et engendré «une méfiance importante envers la qualité du processus, aussi bien à l’interne qu’à l’externe de l’Université». L’association estime que «les principaux enjeux liés à l’avenir de l’UNIGE (…) ont été éclipsés par le projet unique de plateforme socio-écologique d’excellence» Elle appelle à de nouvelles élections universitaires afin de «définir un nouveau processus de désignation».

Le syndicat étudiant CUAE, pour sa part, déplore le refus du Conseil d’Etat, qu’il juge «symptomatique du caractère profondément non-démocratique du processus de nomination» en particulier et de la gouvernance de l’Université en général.   

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