Cyclisme«Comment en vouloir à Van der Poel? Personne ne huait Federer»
Le Néerlandais attaque l’Amstel Gold Race, première classique ardennaise, comme grandissime favori. Le voir écraser la concurrence est-il problématique? Lematin.ch a sondé des experts.
- par
- Sylvain Bolt
Une semaine après la démonstration de Mathieu van der Poel à Paris-Roubaix, qui peut arrêter le Néerlandais ce dimanche à l’Amstel Gold Race (qu’il a gagné en 2019)? En l’absence de Tadej Pogacar, mais aussi des blessés Wout Van Aert ou Remco Evenepoel, le double champion du monde fait figure d’épouvantail.
Dimanche passé, «MVDP» a remporté l’enfer du Nord avec une marge de trois minutes sur son premier poursuivant, après un raid solitaire de près de 60 kilomètres. Au début du mois d’avril, le petit-fils de Raymond Poulidor s’était offert un autre Monument, le Tour des Flandres. Après une échappée solitaire de 44 kilomètres et une minute d’avance.
Le Néerlandais devrait retrouver de la concurrence sérieuse avec son rival Tadej Pogacar dimanche suivant lors de Liège-Bastogne-Liège. Le Slovène avait remporté la Doyenne des classiques en 2021.
Après son show dans les Ardennes (vainqueur de trois des quatre courses auxquelles il a participé), Mathieu Van der Poel va-t-il écraser les classiques ardennaises? Et n’est-il pas en train de tuer tout suspense?
Pascal Richard: «Mes petits-fils ne me parlent que de Mathieu van der Poel!»
Ancien cycliste, vainqueur notamment de Liège-Bastogne-Liège 1996
«Je me demande si c’est une stratégie d’attaquer à plus de 50 kilomètres de l’arrivée, comme l’a fait Mathieu van der Poel à Paris-Roubaix. Peut-être pour éviter les risques de chutes, de crevaison, d’être seul devant pour que cela soit moins chaotique. C’est peut-être aussi une tactique héritée du cyclocross: se faire violence une heure à fond et terminer en solitaire. Mais pour réussir ceci, il faut aussi le physique et ce n’est pas donné à tout le monde. C’est vrai que d’une certaine manière, ça tue le cyclisme, mais d’une autre, ça lui amène une certaine beauté.»
«Pendant de longues années, on s’est plaint qu’il n’y avait pas un champion qui dominait les autres. Il manquait des mythes, mis à part des coureurs comme Peter Sagan, Fabian Cancellara ou Chris Froome. Dans cette génération-là, on a de vrais patrons avec Wout Van Aert, Tadej Pogacar ou Remco Evenepoel. Et Mathieu Van der Poel, dans sa forme actuelle, est au dessus du lot. C’est bon pour le sport d’avoir un tel phénomène, car mes petits-fils ne me parlent que de van der Poel!»
«Ce serait magnifique qu’il s’impose sur l’Amstel dimanche, puis qu’il enchaîne avec Liège-Bastogne-Liège. C’est un coureur qui a une certaine discipline, qui attise aussi beaucoup de jalousie, on l’a vu avec les jets de bières à Paris-Roubaix. Et une certaine animosité autour de lui d’une toute petite partie du public, car je pense que l’immense majorité respecte l’athlète. Comment en vouloir à un tel champion? Personne ne huait Roger Federer sur les courts de tennis.»
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«Un raid solitaire de Mathieu van der Poel tue un peu la course, c’est clair. En même temps, c’est exceptionnel et si beau. On est tous admiratifs. Le public aussi j’imagine, pour l’instant, ça passe. Mais si toutes les épreuves se terminent avec un cycliste qui s’impose avec 3 minutes d’avance, ça va devenir ennuyant! Et puis ce n’est pas évident pour les commentateurs et consultants, comment animer 60 kilomètres où le mec est tout seul devant? On peut refaire huit fois son palmarès, mais comment expliquer au public que ce sport est intéressant et beau?»
«J’ai commenté vingt fois Paris-Roubaix et la Trouée d’Arenberg puis le Carrefour de l’Arbre sont des moments que tout le monde attend dans la course. Car il se passe toujours quelque chose. Et là, rien, Mathieu van der Poel est tout seul devant, tu sais qu’il ne va rien lui arriver, qu’il ne va pas s’écrouler. Il n’y a pas photo. Derrière, les coureurs savent qu’ils ne rentreront pas, ils ne collaborent même pas car ils savent qu’ils n’ont aucune chance…»
«Mathieu van der Poel est un champion fantastique, mais il va falloir des duels dans les Ardennaises. Mon père m’a toujours rappelé que beaucoup de monde détestait Eddy Merckx à l’époque, lorsqu’il écrasait tout, qu’il s’imposait avec trop d’avance et qu’il écrasait la concurrence. Alors que tout le monde l’admire aujourd’hui. J’espère des duels pour van der Poel, notamment qu’il affronte Tadej Pogacar à Liège-Bastogne-Liège pour qu’il y ait du suspense. Et si van Aert ou Evenepoel étaient là, ce serait du grand art, parce qu’ils n’ont pas non plus peur d’attaquer! On leur reproche d’attaquer de trop loin, mais n’oublions pas qu’il y a dix ans, on gueulait parce que personne n’attaquait avant les 500 derniers mètres.»
Antoine Debons: «A 30 kilomètres de l’arrivée, on peut éteindre la télévision»
Cycliste professionnel Corratec - Vini Fantini
«Gagner avec un écart de trois minutes tue clairement le suspense. Mathieu van der Poel est une machine, c’est magnifique de le voir pédaler, mais c’est vrai que c’est dommage d’un autre côté. A 30 kilomètres de l’arrivée, on peut éteindre la télévision, on sait déjà qui a gagné. C’est frustrant mais c’est la nouvelle mode de partir de loin, avec Tadej Pogacar qui s’impose avec près de trois minutes d’avance sur les Strade Bianche.»
«Franchement, je ne sais pas trop comment l’expliquer. Il y a une telle différence de niveau entre ces quelques champions et le reste du peloton. On a parfois l’impression qu’ils courent avec des cadets. C’est étonnant et paradoxal. Maintenant, on dit que le niveau est tellement plus homogène, que tout le monde est à la pointe, mais il y en a quand même un ou deux qui dominent tels des extraterrestres.»
«Je pense que s’il s’offre un tel raid solitaire, comme à Paris-Roubaix, Mathieu van der Poel veut surtout faire un numéro. Il se sent en super forme et veut faire le show. En plus, avec son maillot arc-en-ciel de champion du monde, c’est la classe. C’est un mec qui dégage une attitude cool, comme Pogacar et ils donnent une bonne image du cyclisme. Je le vois gagner facilement l’Amstel Gold Race ce dimanche, mais Tadej Pogacar devrait quand même être un peu plus fort sur Liège-Bastogne-Liège.»