Amérique latineLa présidentielle au Brésil gangrenée par la désinformation
À un mois de la présidentielle, si les autorités semblent mieux armées pour lutter contre la désinformation, les contenus sont plus difficiles à contrôler en raison de nouvelles plateformes.
En 2018, le scrutin avait été entaché par la dissémination massive de fausses informations, notamment sur la messagerie WhatsApp, avec un impact significatif sur la victoire du président actuel Jair Bolsonaro, selon les experts.
À l’approche du premier tour, le 2 octobre, la plupart des contenus faux ou trompeurs qui circulent sur les réseaux concernent le chef de l’État et son grand rival Luiz Inacio Lula da Silva.
Devancé par Lula dans les sondages, Jair Bolsonaro compte en revanche trois fois plus d’abonnés sur les réseaux sociaux, où il est très actif, préférant les directs hebdomadaires sur Facebook à la communication institutionnelle.
Le président du Tribunal supérieur électoral (TSE), Alexandre de Moraes, a promis le mois dernier d’être «ferme et implacable» face à la désinformation. Le TSE a déjà ordonné la suppression de plusieurs dizaines de contenus, y compris des publications du président Bolsonaro, notamment une vidéo dans laquelle il remet en cause la fiabilité du système d’urnes électroniques sans apporter de preuve.
Innovation majeure par rapport à 2018: la création par ce même tribunal d’un groupe de combat contre la désinformation auquel participent directement les principales plateformes, comme Facebook, Twitter, Instagram, Youtube, WhatsApp, TikTok et plus récemment Telegram, d’abord réticent avant de se raviser.
Pour limiter l’envoi massif de messages, Whatsapp a décidé ne mettre en service au Brésil qu’après l’élection son nouvel outil «communautés», qui permet de rassembler plusieurs groupes existants.
Telegram, plateforme de plus en plus utilisée par Jair Bolsonaro, a dû nommer un représentant légal au Brésil après avoir été menacée d’être bloquée par la Cour suprême en raison de son manque de collaboration avec les autorités.
«La collaboration des plateformes est essentielle, parce que les sanctions judiciaires mettent beaucoup de temps à être appliquées. Et quand c’est le cas, le mal est déjà fait parce que l’information a déjà circulé», explique à l’AFP Aurélio Ruediger, directeur de l’École de Communication de la Fondation Getulio Vargas.
Vidéos manipulées
Malgré ces avancées par rapport à 2018, les défis restent nombreux, en raison notamment de nouveaux outils qui permettent de manipuler facilement des contenus visuels sur des plateformes de vidéo comme TikTok, très populaire chez les jeunes.
«Avec ces outils de montage pour de courtes vidéos, les fausses informations circulent de façon effrénée» déclare Ana Regina Rego, coordinatrice du Réseau national de combat contre la désinformation.
Selon un décompte du journal «O Globo», une trentaine de vidéos véhiculant de fausses informations sur la présidentielle ont été vues plus de 15 millions de fois sur TikTok. Trois d’entre elles, qui affirment que Lula est «en train de se bourrer la gueule» alors qu’il boit de l’eau, ont été vues par plus de six millions d’internautes. Cinq autres vidéos, qui mettent en doute l’attentat à l’arme blanche dont Jair Bolsonaro a été victime à un mois de la présidentielle de 2018, ont cumulé plus de trois millions de vues.
TikTok a assuré à l’AFP avoir supprimé les vidéos qui «violent les normes de la communauté» et a réaffirmé son engagement dans la lutte contre la désinformation en cette période électorale.
Spectre du Capitole
Selon Ana Regina Rego, des contenus qui présentent «des informations erronées ou sorties de leur contexte par souci de sensationnalisme ont 70% de chance en plus de devenir viraux». D’où le risque de voir de fausses informations prendre une dimension disproportionnée.
Ce fut le cas en janvier 2021 à Washington, lors de l’invasion du Capitole par des dizaines de partisans de Donald Trump convaincus que la victoire lui avait été volée à la présidentielle américaine par des fraudes.
Au Brésil, les experts redoutent que les attaques de Bolsonaro contre les urnes électroniques ne servent à préparer le terrain pour une éventuelle contestation du résultat. «La société est moins crédule qu’avant, mais si le résultat n’est pas reconnu, avec des incitations à la violence, on pourrait revivre un épisode comme celui du Capitole au Brésil», prévient Aurélio Ruediger.