GenèveUn ex-ministre gambien devra répondre de crimes contre l’humanité
Après plus de six ans d’enquête, le Ministère public de la Confédération a déposé son acte d’accusation visant Ousman Sonko.
Un ancien ministre de l’Intérieur de l’ex-dictateur gambien Yahya Jammeh (1994-2017) a été déféré devant le Tribunal pénal fédéral suisse «pour crimes contre l’humanité», a annoncé le Ministère public de la Confédération (MPC) mardi. Après une vaste instruction qui a duré plus de six ans, le MPC a déposé son acte d’accusation visant Ousman Sonko auprès du Tribunal pénal fédéral lundi, a-t-il indiqué dans un communiqué.
Il lui est reproché «en ses qualités et fonctions, (d’avoir) soutenu, participé et de ne pas s’être opposé aux attaques systématiques et généralisées menées dans le cadre de répressions par les forces de sécurité gambiennes contre tout opposant au régime du président Yahya Jammeh».
Ces accusations portent sur une période allant de 2000 à 2016 et seraient, selon le parquet suisse, notamment constitutives de crimes contre l’humanité. Le MPC lui reproche notamment d’avoir, «dans le cadre de cinq événements entre 2000 et 2016, participé, ordonné, facilité et/ou n’avoir pas empêché des meurtres, des actes de torture, des viols et des détentions illégales».
En détention depuis 2017
M. Sonko est en détention provisoire depuis son interpellation le 26 janvier 2017 en Suisse, où il avait déposé une demande d’asile après avoir été limogé de son poste de ministre de l’Intérieur, qu’il a occupé pendant 10 ans jusqu’en septembre 2016. L’instruction a impliqué de nombreuses auditions du prévenu, une quarantaine d’auditions de parties plaignantes, des personnes disposant de renseignements et des témoins, ainsi que 6 déplacements en Gambie de la part de la direction de la procédure dans le cadre d’une entraide judiciaire obtenue des autorités gambiennes.
L’interpellation de M. Sonko en 2017 faisait suite à une dénonciation pénale déposée par l’organisation non gouvernementale Trial International, basée à Genève et luttant contre l’impunité dans le monde.
Depuis 2011, la justice civile suisse a en effet la possibilité de juger les crimes les plus graves s’étant déroulés à l’étranger, à condition que leur auteur se trouve en Suisse et ne puisse pas être extradé ni remis à un tribunal pénal international.
Le procès à venir - dont la date reste à déterminer - «marque une étape décisive dans le processus de justice transitionnelle en Gambie où des démarches sont aussi en cours afin de traduire en justice les responsables de l’ère Jammeh», a réagi Trial dans un communiqué.
L’ONG souligne que le dossier est également «emblématique pour la Suisse, car il s’agira du second procès à se tenir devant le Tribunal pénal fédéral sur la base du principe de la compétence universelle», après la condamnation de l’ancien chef de guerre libérien Alieu Kosiah en 2021. «Il l’est d’autant plus car jamais en Europe un aussi haut responsable n’a encore été jugé en application de ce principe», a relevé Trial.
Selon l’ONG, deux procédures pénales dirigées contre des anciens hommes de main de M. Jammeh sont en cours en Allemagne et aux États-Unis mais M. Sonko est «à ce jour le plus haut responsable du régime amené à répondre des atrocités commises en Gambie».