Procès du 13-Novembre«Je ne suis plus dans ce monde, je n’y arrive plus»
Devant la Cour d’assises de Paris, des familles de victimes se sont succédé vendredi pour raconter comment la perte d’un proche au Bataclan en 2015 les avait rendues malades de chagrin.
Il y a les morts, les blessés, les rescapés aux vies fracassées. Et aussi, un peu dans l’ombre mais tout autant brisé, le cortège des victimes de «l’effet Tchernobyl» des attentats du 13-Novembre: ces familles anéanties qui ont développé maladies et mal de vivre après la mort brutale de leurs proches.
«Depuis le 13-Novembre, je suis seulement en survie», dit d’une voix éteinte Nelly, la mère de Gilles, un jeune fleuriste de 32 ans, assassiné au Bataclan. «Je ne suis plus dans ce monde», ajoute la femme aux cheveux blancs venue témoigner vendredi à la barre de la Cour d’assises spéciale de Paris. «Je n’y arrive pas, je n’y arrive plus», dit-elle, accablée. Nelly est venue avec sa fille Alexandra mais sans son mari. Après la mort de Gilles, il a développé un cancer.
La cour a résonné vendredi d’histoires similaires. Un autre père de victime, Alfio, qui devait témoigner ce vendredi a renoncé. «Mon père a été gagné par la tristesse», explique Charles, son fils et frère de Pierre, tué au Bataclan.
Mayeul était juriste et a été tué lui aussi dans la salle de spectacle. Il venait de fêter ses 30 ans. Anaïs sa sœur, Noémie sa belle-sœur, Vianney son frère, Chloé sa compagne ont rappelé à la barre quelle «belle personne» Mayeul était mais, au-delà de ces souvenirs poignants, ils ont évoqué les ravages causés par les attentats dans les familles endeuillées.
Les attentats ont eu un «effet Tchernobyl»
«Il y a eu un effet Tchernobyl des attentats», avance l’avocat Jean Reinhart venu soutenir la famille de Mayeul à la barre. Certains proches de victimes sont morts de chagrin ou ont développé des cancers.
Quand il a fallu annoncer la mort de Mayeul à leur mère, Odile, «elle s’est littéralement effondrée», raconte Anaïs le souffle court. «Maman était forte et digne. Mais quelque chose s’était brisé en elle. Elle a été rattrapée par un cancer. Elle s’est éteinte en 2018, elle souffrait trop», poursuit Anaïs. «Pour les médecins c’était clair que son cancer était lié à la mort de Mayeul», dit-elle.
Vianney, petit dernier de la fratrie, souligne que «l’absence de Mayeul a brisé des vies, des couples, des amitiés». Odile «a développé un cancer de l’endomètre, qui est une partie de l’utérus, donc lié à la maternité», précise Vianney.
Le benjamin de la famille éclate en sanglots quand il se souvient des derniers mots de sa mère: «Excuse-moi, mais je n’en peux plus de vivre, je dois retrouver Mayeul et papa» – mort avant les attentats.
Toute la journée en pyjama
Il y a aussi les conséquences physiologiques. Chloé raconte à la barre qu’après la mort de son compagnon, elle n’a «plus eu ses règles pendant 24 mois du fait du choc». Au début, elle pense être enceinte. Elle raconte, voix brisée, avoir fait «plusieurs tests de grossesse». Un espoir vain.
Avocate, Chloé est incapable de poursuivre son métier. Elle raconte sa «descente aux enfers», «son état de désespoir». Après avoir été «hôtesse d’accueil», elle se décide «pour ne pas rester chez elle toute la journée en pyjama» à intégrer l’École nationale de la magistrature. Devenue magistrate, elle raconte se sentir «souvent en décalage». «Quand j’imagine Mayeul tout seul qui se vide de son sang, j’ai envie de mourir à mon tour», dit-elle d’une voix à peine audible.
Survivre plutôt que vivre
«Le malheur s’est introduit par effraction dans mon existence», raconte sobrement Jean-Pierre, père de Stéphane, autre victime du Bataclan. À la mort de son fils, «notre famille a sombré dans un cauchemar éveillé», dit-il en éclatant brièvement en sanglots. Il parle de «survivre» plutôt que «vivre».
Caroline, épouse de Christophe et mère de leurs deux jeunes enfants, explique que la peine infligée aux familles endeuillées s’apparente à «une douleur à perpétuité». Les témoignages se succèdent et toujours cette peine inextinguible.
Catherine, la femme de Christopher, autre victime du Bataclan, évoque la souffrance de sa belle-mère qui n’a pas eu la force de venir au procès. «Quand on perd un parent, on devient orphelin. Quand on perd un enfant, j’ai cherché, ça n’existe pas dans la langue française.»