ChineUn Ouïghour de Suisse dévasté par la mort de cinq proches
Les confinements anti-Covid auraient entravé le travail des pompiers lors d’un incendie. Les manifestations se multiplient. Témoignage.
Entre colère et larmes, Abdulhafiz Maimaitimin, un Ouïghour originaire du Xinjiang, a perdu cinq de ses proches dans l’incendie qui a déclenché une vague de protestations publiques d’une ampleur inédite à travers la Chine. Il craint désormais que Pékin s’en prenne aux manifestants et à la minorité musulmane.
Dix personnes ont perdu la vie et neuf autres ont été blessées dans l’incendie qui a ravagé un immeuble d’habitation d’Urumqi, capitale régionale du Xinjiang, dans le nord-ouest de la Chine.
Mais cette tragédie, survenue jeudi, aurait pu être évitée si les confinements anti-Covid en vigueur n’avaient pas entravé l’accès des pompiers, selon des messages circulant sur les réseaux sociaux. Des voitures et des poteaux au sol bloquaient le passage des pompiers, ont d’ailleurs admis des responsables de la ville.
«J’avais envie de vomir»
Dans le même temps, des vidéos ont montré des groupes de personnes descendant dans les rues d’Urumqi pour protester contre la politique draconienne «zéro Covid» de Pékin, accusée d’être à l’origine de la mort des victimes de l’incendie. Et depuis vendredi, des manifestations de grande ampleur et des veillées aux chandelles ont eu lieu à Urumqi et dans plusieurs autres grandes villes.
Abdulhafiz Maimaitimin, 27 ans, qui vit désormais en exil en Suisse, a été abasourdi lorsqu’il a appris par un ami la mort de sa tante de 48 ans, Haiernishahan Abdureheman, et de quatre de ses cousins âgés de 4 à 13 ans. «Mes bras et mes jambes ont tremblé et j’ai eu des vertiges, j’avais envie de vomir. Je ne pouvais pas réaliser», a-t-il déclaré à l’AFP, depuis son domicile de Zurich.
Une grande partie du Xinjiang est bouclée depuis trois mois pour cause de recrudescence des cas de Covid, de même que dans l’ensemble du pays. Mais cette région reculée est aussi en proie à une répression contre la minorité ouïghoure.
Abdulhafiz Maimaitimin croit que sa famille n’a pas été secourue à temps parce qu’elle était issue de cette ethnicité et vivait dans un quartier à majorité ouïghoure du district de Tianshan.
«Jamais confiance»
«Je ne ferai jamais confiance au gouvernement chinois. Si les Ouïghours protestaient, ils les étrangleraient jusqu’à la mort», a-t-il déclaré. «Je pense que les manifestants seront attrapés, et (les Ouïghours) seront soumis à un contrôle encore plus strict», a-t-il estimé.
Le jeune homme avait perdu le contact avec sa tante en mai 2017, quand une vaste répression de Pékin à l’encontre de la minorité musulmane a conduit à l’arrestation d’un million de Ouïghours détenus arbitrairement dans des prisons et des camps d’internement, certains simplement pour avoir parlé à des proches à l’étranger.
«C’était une femme au foyer, toute sa vie était consacrée à prendre soin de ses enfants et à bien les éduquer», a-t-il dit en fondant en larmes. Une photo, vérifiée par le jeune homme, montre sa tante assise aux côtés de ses quatre jeunes enfants sur un canapé dans un salon magnifiquement décoré. «Je ne pouvais vraiment pas imaginer que j’entendrais parler de mes proches de cette manière, cinq ans après», se lamente-t-il. «Maintenant, je me sens encore terriblement mal, je ne peux pas faire face».
Davantage de morts?
Les autorités chinoises n’ont pas encore révélé l’identité des personnes décédées dans l’incendie. Mais de nombreuses spéculations en ligne laissent entendre que le nombre réel de morts serait plus élevé.
Une photo circulant sur internet des restes carbonisés du bâtiment montre des fenêtres noircies et détruites sur six étages.
Il a fallu trois heures pour éteindre l’incendie, ont rapporté les médias d’État et les restrictions sont soupçonnées d’avoir entravé les secours. L’eau pulvérisée par un camion de pompiers stationné à l’extérieur atteint à peine les fenêtres en feu, selon des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux. Sur une autre, on entend les cris d’agonie d’habitants piégés à l’intérieur. Certains témoins et internautes ont affirmé que les portes du bâtiment étaient fermées à clé.
Dans un groupe de discussion, Abdulhafiz Maimaitimin a pu identifier son cousin, suppliant les voisins de sauver sa mère et ses frères et sœurs. «Je ne peux pas contacter les gens de (l’appartement) 1901 et je ne connais pas leur situation, ils ne peuvent pas ouvrir la porte. Pouvez-vous casser la porte? Il y a des enfants à l’intérieur», a écrit son cousin, qui ne se trouvait pas à Urumqi au moment de l’incendie.