Critique«Dune» au cinéma: la fête est belle mais un peu froide
Visuellement monumental, le nouveau pari du cinéaste Denis Villeneuve ne parvient pas pour autant à faire chanter le Barde. En salle ce mercredi 15 septembre.
- par
- Jean-Charles Canet
Pièce centrale d’un empire galactique féodal, la planète des sables Arrakis est la seule à contenir une matière première essentielle appelée Épice qu’il s’agit d’extraire d’un sol aride, brûlant et désolé. Le désert est infesté (point de vue de colonisateur) par d’immenses vers, qui ne facilitent en rien la tâche des Maisons chargées d’exploiter le minerai, et aussi de Fremens, farouches natifs, rétifs à toutes formes d’asservissement.
Lorsque «Dune», nouvelle adaptation de la monumentale saga de science-fiction signée par Frank Herbert, commence, l’empire a retiré sa licence à l’impitoyable Maison Harkonnen pour la confier à son ennemie jurée, la Maison Atréide.
Les Harkonnen ont plié bagage avec dans leurs soutes une incommensurable richesse alors que les Atréides comptent certes tirer de leur mandat le profit attendu mais sans pour autant employer les méthodes cruelles et expéditives de leurs prédécesseurs. Au sommet de la pyramide, Paul (Timothée Chalamet), fils du duc Leto (Oscar Isaac) et de dame Jessica (Rebecca Ferguson), est hanté par des rêves qui semblent prémonitoires.
Impossible monument
Quelques années après avoir accompli l’impossible mission de donner une suite à «Blade Runner», aboutie de notre point de vue, le cinéaste canadien Denis Villeneuve s’attaque à plus gros encore: donner un corps cinématographique honorable à un monument contre lequel Alejandro Jodorowsky (avec un projet de film avorté dans les années 70) et David Lynch (avec un film massacré par son producteur dans les années 80), se sont cassé les dents.
D’un point de vue formel, le pari de Villeneuve, dès ce mercredi sur les écrans suisses, est gagné. Son «Dune» se pare de la splendeur espérée. Sur la base de décors monumentaux ou le dur est privilégié au numérique, d’une splendide photographie et des effets insolents de réalisme (le vaisseau libellule en particulier) dans lesquels s’ébat une distribution triée sur le volet. La production est dispendieuse et tirée à quatre épingles, cela se voit dans tous les coins de l’écran sans la vulgarité nouveau riche des grosses machines hollywoodiennes habituelles. Ces critères de base ont largement contribué à notre plaisir et les deux heures trente-cinq du film ont filé sans ennui.
1984 ou 2021
«Dune» ne nous semble pourtant pas abouti dans tous les départements. Et pour résumer notre pensée, il réussit là où David Lynch a échoué mais échoue là ou Lynch a réussi. Car on peut penser tout le mal de la version de 1984 et ses effets spéciaux qui piquent désormais gravement les yeux, la mise en place du réalisateur de «Mulholland Drive», la première moitié disons avant que le film ne passe en mode accéléré-bâclé, exprime une densité opératique et politique que le «Dune» de Villeneuve ne fait qu’effleurer. Le cinéaste a ainsi l’audace de traiter l’Épice comme un MacGuffin (soit comme un élément convoité par tout le monde mais sans réelle importance) et suggère avec froideur alors que Lynch parvenait à faire chanter le Barde lors de la chute (shakespearienne) de la Maison Atréide qui est au cœur de cette première partie.
Certes, rien ne dit que Villeneuve parviendra à éviter les écueils du voyage mystique à venir de Paul chez les Fremens, qui devrait constituer le gros morceau de la suite espérée et qui devrait aussi remettre le précieux mélange à sa juste place. Les fondations n’en restent pas moins solides.
Les yeux écarquillés et le cœur en demande, on vous recommande «Dune».
Et d’une!
Rien sur l’affiche, rien dans la bande-annonce ni dans le synopsis officiel. Il n’y a qu’une fois que le film est lancé que l’info apparaît sur l’écran: «partie I». Oui, «Dune» est un projet en deux parties et on pourrait croire que Warner Bros. et Legendary Pictures n’ont pas envie que ça se sache, de peur que ça plombe les chiffres d’entrées. Car, contrairement au «Seigneur des anneaux», par exemple, tout n’a pas été tourné en une fois. La suite dépend du succès de la première partie. S’il y a, Denis Villeneuve espère tourner «le plus tôt possible», en 2022, a-t-il déclaré. Ce qui agenderait la sortie au plus tôt à 2023. Tard.
On croise les doigts pour lui. Le film qui sort en salle ce mercredi 15 septembre n’a pas de fin et laisser cette œuvre ainsi consisterait non seulement en un accident industriel mais aussi en un gros point noir dans la filmographie du réalisateur québécois. L. F.