JusticeLa Lausannoise qui a vidé son chargeur sur sa fille est libre
En juin 2017, cette pharmacienne clouait sa fille de 27 ans dans une chaise roulante. Elle avait écopé de 8 ans de prison ferme pour tentative d’assassinat.
- par
- Evelyne Emeri
«Je n’ai tiré qu’une seule fois, pas plus. Mon arme fait du bruit, souvent elle se bloque et, pour la débloquer, ça fait «clics». En réalité, la maman de Patrizia Mori a tiré cinq fois ce jeudi 29 juin 2017. D’abord en traître dans le dos, la balle de la paraplégie. La jeune femme sera encore atteinte au thorax par deux ou trois projectiles. Son aorte est touchée, elle fait deux arrêts cardiaques, son pronostic vital est engagé. Après trois jours de coma au CHUV, elle se réveille. Privée de ses membres inférieurs, la miraculée qui a témoigné dans de nombreux médias pardonne, tout de suite. Depuis, elle n’a de cesse de lutter pour guérir ce corps malade, meurtri par l’injustice.
«Je suis coupable»
Établie de longue date à Lausanne dans le même immeuble que sa fille, l’Italienne de 63 ans est interpellée et incarcérée. Elle plaidera coupable lors son procès deux ans plus tard en juin 2019. Que faire d’autre? Les circonstances sont sans appel, le déroulement de son acte est clair. «Je suis coupable d’avoir ingéré ce médicament (ndlr. du Zolpidem, puissant somnifère hypnotique) trop longtemps. Ça peut faire des dégâts au cerveau sur les années.» Parole de pharmacienne. Le mobile, selon elle? «Si j’ai tenté de la tuer, c’est pour qu’elle ne reste pas seule. Je suis sa seule famille.» Parole de tireuse sportive, détentrice à la maison d’un pistolet Beretta 87 Target de calibre 22.
Reconnaissante malgré tout
De son propre aveu, la sexagénaire est esseulée, dépressive, insomniaque, menaçante. Elle s’automédique et développe des pensées suicidaires. Patrizia viendra témoigner au Tribunal de Montbenon, refusant toutefois d’être confrontée à celle qui l’a tant abîmée et pour laquelle elle exhortera la Cour criminelle à être clémente. Elle confirmera les menaces de mort, les somnifères, l’alcool, la violence, le côté borderline de celle qui l’a enfantée, mais évoquera aussi sa reconnaissance «pour tout ce qu’elle a pu me donner. Aujourd’hui, c’est son jugement, mais c’est aussi le mien. Quoi qu’elle ait fait, ça reste ma mère. Il n’y a pas une seconde où ça ne me touche pas de la savoir là-bas (ndlr. à la prison de Lonay)».
Préméditation écartée
La prévenue écopera de 8 ans ferme pour tentative d’assassinat en première instance. Saisie, la Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal confirmera la quotité de la peine et la qualification juridique. En revanche, les juges cantonaux écartent l’acte prémédité. Il restait donc à la défense de la condamnée le Tribunal fédéral (TF) pour essayer de commuer l’infraction en tentative de meurtre et diminuer la sanction. En vain. Le TF a estimé que la mère de Patrizia avait agi en étant mue par ses propres frustrations et au mépris de la vie d’autrui, même si elle avait appelé les secours après avoir tiré et malgré une diminution moyenne de responsabilité pénale retenue par les experts psychiatres.»
Pas de traitement de faveur
Lematin.ch a appris que la criminelle avait recouvré la liberté et avait pu quitter sa cellule de la Prison de la Tuilière à Lonay (VD). Ce que nous confirme son avocat, Me Fabien Mingard. Il ne s’agit pas là d’un traitement de faveur ou d’une demande anticipée de libération conditionnelle. La détenue a tout simplement déjà purgé les deux tiers de sa peine, soit 5 ans et quelques mois depuis sa mise en détention provisoire en juin 2017. Et peut dès lors bénéficier d’une mise en liberté conditionnelle, assortie d’un délai d’épreuve d’un peu plus de deux ans et demi qui correspondent au reste de sa condamnation. Une décision émanant du Collège des juges d’application des peines du canton de Vaud atteste de sa relaxe.
Expulsée en Italie
Il y a trois semaines, la ressortissante italienne, 67 ans dans quelques jours, a été conduite au Tessin pour passer la frontière vers l’Italie. Lors de son jugement, elle avait aussi été sanctionnée par une expulsion du territoire helvétique pour une durée de quinze ans. Elle s’est installée dans la région de Milan d’où elle est originaire. Si elle ne commet aucune autre infraction durant son sursis et ne remet pas les pieds en Suisse, la mère de Patrizia ne repassera pas par la case prison. Mère et fille se sont souvent parlé par téléphone ou écrit durant les premières années après la tragédie. Elles ne se sont par contre jamais revues. Aujourd’hui, conseillère communale lausannoise UDC, la belle battante de 32 ans a choisi de laisser le passé derrière elle.