Qatar 2022À quel Mondial peut-on s’attendre sur le plan du jeu?
Projets de jeu inaboutis, absence de préparation, climat lourd… Plusieurs facteurs rendent la Coupe du monde au Qatar particulièrement imprévisible sur l’aspect tactique.
- par
- Brice Cheneval
Murat Yakin a pris tout le monde de court. Lors du match amical face au Ghana jeudi (0-2), le sélectionneur suisse a mis en place un système inédit à trois défenseurs centraux, rompant avec ses habitudes. Il ne fallait pas y voir un changement radical de direction, a-t-il assuré après coup: «J’ai fait des tests. On connaît nos forces, les schémas avec lesquels nous sommes habitués et en confiance.» Toutefois, la démarche suggère une certaine souplesse dans l’approche de cette Coupe du monde. «Certaines équipes savent où elles vont, mais aucune ne se présente avec une identité très forte», constate Florent Toniutti, analyste tactique pour le média Coparena.
Le phénomène, déjà observé lors des précédents grands rendez-vous internationaux, est encore plus marqué cette année. Championne du monde en titre, la France s’avance dans le flou total. Alors que Didier Deschamps insiste péniblement avec un 3-5-2 depuis un an et demi, sa liste semble annoncer le retour à une défense à quatre. L’Espagne, l’Allemagne, l’Angleterre, la Belgique ou le Portugal sont à peine mieux rôdés. Parmi les favoris, seuls l’Argentine et le Brésil semblent plus consistants, sans toutefois que leur plan de jeu ne se démarque significativement. Dernière sélection en date à avoir durablement impacté les esprits par sa jouerie, l’Espagne à la sauce barcelonaise a peu de chance de trouver un successeur lors de ce Mondial. «Je ne m’attends à aucune nouveauté d’un point de vue tactique», avance Adrian Ursea, ancien coach de Nice.
L’importance des coups de pied arrêtés
Le football de club déteint sur les équipes nationales, pas l’inverse. Parce qu’il ne dispose pas de ses joueurs au quotidien, contrairement à un entraîneur, «un sélectionneur n’a pas suffisamment de temps pour aller au bout de ses idées», pointe l’Helvético-roumain. Derrière une sélection au style affirmé, on retrouve donc bien souvent l’influence d’un club sur-représenté. Or, le plateau actuel n’offre pas ce cas de figure, à de rares exceptions qui ne concernent pas les candidats au sacre. «Ce sera intéressant, par exemple, de voir ce que propose le Qatar, soulève Florent Toniutti. La moitié de ses joueurs évolue à Al-Sadd et ils travaillent ensemble depuis plusieurs mois. Par conséquent, c’est peut-être la sélection qui se rapprochera le plus d’un club dans l’animation.»
Plus que jamais, la décision viendra des individualités plus que du collectif. Et l’absence de préparation ne peut qu'amplifier cette réalité. À défaut de se reposer sur un plan de jeu abouti, les sélectionneurs s’appuieront sur des associations, prédit Christophe Kuchly, journaliste spécialiste du tableau noir et autre pilier de Coparena: «Le fait de prendre Youssouf Fofana en équipe de France pour potentiellement l’associer à Aurélien Tchouaméni, avec qui il a évolué à Monaco, en est l’emblème. On choisit des joueurs pouvant s’insérer dans un écosystème qui leur est familier plutôt qu’empiler les talents. Cela donne certaines garanties.» La tendance se confirme au fil des compétitions internationales: «Ce n’est pas forcément le mieux armé qui gagne, dit Florent Toniutti. C’est celui qui trouve le meilleur équilibre pendant un mois.»
Celui, également, qui exploite le mieux les coups de pied arrêtés. Létal dans ce domaine il y a quatre ans, la France a montré la voie à suivre. «Vu qu’ils n’ont pas le temps pour préparer de grands concepts tactiques, les sélectionneurs risquent de beaucoup mettre l’accent sur ces phases-là, d’élaborer des combinaisons hyper évoluées», anticipe Christophe Kuchly. Ce dernier pense, en outre, que la phase de poules pourrait donner lieu à certaines expérimentations, vu qu’il n’y aura pas de matches amicaux au préalable pour peaufiner les détails et réaliser quelques essais. «Je ne crois pas qu’il y aura des changements de systèmes trop importants, cela me paraît trop risqué. En revanche, j’imagine pas mal de turnovers parmi les joueurs.»
Plus globalement, ce premier tour devrait permettre de jauger les certitudes des uns et des autres, dit Florent Toniutti: «À ce stade, toutes les équipes ont une idée de comment elles vont débuter le tournoi. Mais en cas de contre-performance d’entrée, lesquelles resteront fidèles à leur approche? Les matches de groupes serviront de crash-test.»
Crainte d’une pauvre intensité
Le climat est une autre donnée amenée à impacter la production sur le rectangle vert. Pour l’avoir expérimenté jeudi à Abu Dhabi, la Suisse est bien placée pour savoir à quel point il est difficile de fournir des efforts par de fortes chaleurs. «Le gros souci, ce sont les écarts de température, craint Florent Toniutti. Il y a une semaine, les joueurs jouaient sous 10 à 15 degrés maximum et là, ils vont jouer sous 30 degrés. Cela va peser sur les organismes. J’émets des doutes sur l’intensité des rencontres et notamment du pressing.»
Cette contrainte, combinée à la possibilité d’effectuer cinq changements, pourrait pousser à une scission des matches. «On peut imaginer des équipes qui mettraient une grosse intensité en première période afin d’épuiser leur adversaire, avant de modifier leur ligne d’attaque à l’heure de jeu et donner les clés aux entrants. L’importance du coaching n’en sera que renforcée», poursuit l’analyste.
Des oppositions lentes, où les deux camps cherchent avant tout à limiter les erreurs, se renvoient la possession et comptent sur les différences de leurs individualités: la formule, déjà éprouvée, tend à s’accentuer. «J’ai tendance à penser que le niveau collectif ne va pas atteindre des sommets», assène Christophe Kuchly. Vu la conjoncture tactique actuelle et les conditions spécifiques dans lesquelles va se dérouler ce Mondial, il faudrait une sacrée dose d’optimisme, voire d’angélisme, pour songer le contraire.