Human Rights WatchIl est «urgent d’améliorer la gouvernance des démocraties»
A la tête de l’organisation, Kenneth Roth estime que le manque de fermeté des régimes démocratiques permet aux autocrates de se hisser au pouvoir.

Kenneth Roth, à Genève, mardi 11 janvier 2022.
AFPL’incapacité des dirigeants démocrates à défendre efficacement les valeurs fondamentales de la démocratie ont permis aux autocrates de se hisser au pouvoir partout dans le monde, a reproché le patron de Human Rights Watch dans un entretien avec l’AFP.
Face à la pandémie de Covid-19 et à l’angoisse croissante provoquée par l’imminence d’une catastrophe climatique, «notre crainte c’est que si les dirigeants démocrates ne se montrent pas à la hauteur et ne montrent pas le leadership visionnaire que la situation actuelle exige, ils vont générer du désespoir et de la frustration, autant de terrains fertiles pour les autocrates», insiste Kenneth Roth, interviewé mardi chez lui à Genève.
Et, de fait, le rapport annuel de l’organisation, qui occupe une place prééminente dans la dénonciation des atteintes aux droits de l’homme, semble bien mettre en exergue une montée des régimes autoritaires ou au moins à poigne. Le document de 750 pages, paru jeudi, relève la répression sévère contre les opposants au pouvoir en Chine, en Russie, au Bélarus ou encore en Égypte.
Mais il fait aussi la chronique des coups d’État militaires en Birmanie et au Soudan et de l’émergence d’hommes forts dans des pays considérés comme des démocraties: Hongrie, Pologne, Brésil, Inde et, jusqu’à il y un peu plus d’un an, États-Unis.
Hanté par le 6 janvier
Pour Kenneth Roth, un ancien procureur fédéral américain, la démocratie dans son pays d’origine «reste clairement menacée aujourd’hui», même si Donald Trump et ses partisans ont échoué dans leur tentative d’empêcher Joe Biden, légitimement élu, de prendre la présidence.
Il craint que l’assaut donné au Capitole le 6 janvier 2020 et repoussé de justesse, ne soit que «le début» et qu’«un effort bien plus sophistiqué soit en cours avec pour objectif la prochaine présidentielle», en 2024. «Il est urgent de défendre la démocratie aux États-Unis», juge l’homme qui dirige HRW depuis 1993. Pour autant, il «ne partage pas l’idée reçue selon laquelle l’autoritarisme avance et la démocratie recule», jugeant qu’un certain nombre d’autocrates dans le monde sont dans une position de plus en plus vulnérable.
Que ce soit à cause de vastes coalitions de partis qui s’allient pour chasser «des autocrates corrompus» comme en République tchèque et en Israël ou des manifestations massives et répétées qui bousculent les juntes en Birmanie et au Soudan, malgré un danger parfois mortel.
«Il y a un combat en cours et une résistance très forte contre ceux qui veulent réimposer ou perpétuer l’autoritarisme», selon Kenneth Roth. Ces oppositions ont forcé les hommes forts à tomber le masque et abandonner les oripeaux de démocratie comme en Russie, en Ouganda, à Hong Kong et au Nicaragua.
«Élections zombies»
Mais les «élections zombies» organisées après avoir éradiqué l’opposition, muselé les médias et interdit toute manifestation d’opposants, ne confèrent «pas la légitimité» que ces régimes recherchaient. Et les manœuvres autoritaires ainsi mises à nu peuvent donner un levier aux forces démocratiques, pense Kenneth Roth. Mais, pour l’heure, de trop nombreux dirigeants tenants de la démocratie ne mettent pas assez en valeur ses bienfaits.
«Dans le monde entier, se manifeste une certaine insatisfaction envers les responsables démocratiques, notamment parce que des pans importants des sociétés démocratiques se sentent laissés-pour-compte», poursuit Kenneth Roth, ajoutant qu’«il y a un besoin urgent d’améliorer la gouvernance au sein des démocraties et d’avoir une approche plus cohérente de la défense des droits de l'homme dans le monde».
Il a pris l’exemple des États-Unis et des promesses de Joe Biden de mettre les droits de l’homme au cœur de sa diplomatie: si, «à l’inverse de Trump, il ne fait pas les yeux doux à tous les autocrates», il n’en a pas moins largement échoué dans la concrétisation de ses engagements.
Et Kenneth Roth de citer les relations du gouvernement américain actuel «avec des régimes autoritaires amis comme l’Égypte, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Israël». Il reconnaît que Joe Biden et d’autres dirigeants démocratiques «font des petits pas» dans la bonne direction. Mais cette stratégie progressive «n’est pas adaptée aux vastes défis qui se présentent à nous ou in fine pour gagner dans l’épreuve contre l’autoritarisme», met en garde Kenneth Roth.