Séisme en Turquie«Les enfants ont pensé que c’était la guerre et qu’on nous bombardait»
Il y a un mois jour pour jour, les habitants du village de Buyuknacar étaient réveillés par un effroyable tremblement de terre. Ils racontent.
L’entrée du village laisserait croire à un vide-greniers, linge et vaisselle étalés au soleil de mars. Mais les tentes et les bâches plastique tendues entre les branchages renvoient vite au destin tragique de Buyuknacar. Dans ce grand village agricole situé à 1450 m d’altitude, dans le sud de la Turquie, 120 des 2000 habitants ont trouvé la mort le 6 février.
«J’ai essayé de me lever, mais je ne pouvais pas marcher, je tombais», se souvient l’ancien mukhtar (administrateur) Ziya Sütdelisi, 53 ans. Pour son malheur, Buyuknacar est situé pile sur une faille. «On nous a toujours dit que notre sol était solide. Personne ne nous a jamais prévenus», assure Ziya Sütdelisi, bien que la région de Kharamanmaras soit connue pour son extrême exposition aux risques sismiques.
«Pour Kahramanmaras ou Pazarcik, on savait. Mais ici, on pensait que ça tiendrait» confirme son épouse, Kiymet. «Et en quelques secondes, tout s’est écroulé». Cette partie du village a perdu près de 90 maisons. «Il en reste quatre ou cinq encore debout, mais tellement endommagées qu’elles ont été évacuées», poursuit-elle. Les villageois évoquent cette nuit de terreur absolue: «Comme une vague qui sautait à travers le village», «des coups de tonnerre», «comme si dix trains traversaient le village en même temps»…
«Quelqu’un doit venir nous protéger»
«Les enfants ont pensé que c’était la guerre et qu’on nous bombardait», relève Nurten Morgul. Son fils de 4 ans refuse toujours d’aller voir ce qui reste de leur maison. «C’était horrible de voir mon village trembler comme ça», ajoute Nurten, arrivée ici il y a 19 ans pour se marier. Des maisons parfois centenaires ont disparu en un clin d’œil, laissant en place des chaos de pierres taillées, de madriers, de plaques de béton et tôles.
De gros rochers se sont décrochés de la montagne au-dessus des habitations et ont roulé sur les toits et dans les cours. D’autres menacent encore, à chaque nouvelle secousse. «Quelqu’un doit venir nous protéger de ça», grommelle Ziya. Cette nuit-là, les habitants ont dégagé les vivants et conduit, sous la neige et sans ambulance, les blessés graves dans les hôpitaux de la région.
«Des analyses du sol vont être pratiquées et selon le résultat, l’État prendra une décision. On devra peut-être bouger… quelques kilomètres un peu plus bas peuvent faire la différence», espère l’ancien mukhtar qui refuse de céder à la colère. «Mais nos cœurs souffrent», ajoute-t-il. Au-dessus des dernières habitations, le séisme a ouvert une saignée de 10 à 20 cm de large et une quinzaine de mètres de long que les femmes du village font visiter, comme pour l’apprivoiser.
«Peut-être que si les études sont bonnes, on pourra rester ici», soupire Hulya Morgul en contemplant la vallée à ses pieds. «On a tout ici après tout, de l’eau, du bois pour le feu, on est mieux qu’en ville» justifie-t-elle. «Nous, on a des destructions, mais eux, c’est la catastrophe». En promettant une reconstruction rapide des zones sinistrées, le président turc Recep Tayyip Erdogan a promis le mois dernier des études de terrain et de «rapprocher» les habitations des montagnes, gages selon lui de sécurité.