ArgentineMort de Hebe de Bonafini, porte-drapeau des Mères de la place de Mai
Décédée dimanche à l’âge de 93 ans, elle était la voix des Mères de la place de Mai, qui ont défié la dictature militaire (1976-1983) en réclamant des nouvelles de leurs disparus.
Lancée le 30 avril 1977, leur ronde hebdomadaire à Buenos Aires devant la Casa Rosada (Maison Rose, siège de l’Exécutif), coiffées d’un fichu blanc rappelant les langes et brodé au nom d’un disparu (quelque 30’000 personnes, selon les organisations humanitaires), a braqué les projecteurs sur la junte.
«Très chère Hebe, Mère de la place de Mai, symbole mondial de la lutte pour les droits humains, fierté de l’Argentine. Dieu t’a rappelée le jour de la Souveraineté nationale (jour férié en Argentine)… Ça ne doit pas être un hasard. Simplement merci et adieu», a salué dimanche la vice-présidente argentine Cristina Kirchner.
Peu après, Alejandra Bonafini a annoncé dans un communiqué que sa mère était décédée à l’Hôpital italien de La Plata, dans la province de Buenos Aires, où elle avait été admise il y a quelques jours. L’organisation, qu’elle a présidée pendant plus de quarante ans, a fait savoir dimanche soir que «ses cendres reposeront sur la place de Mai».
Deuil national
Le président argentin Alberto Fernández a salué «la combattante infatigable des droits humains», décrétant trois jours de deuil national en son honneur.
Sur Twitter, le président bolivien Evo Morales s’est dit «très triste et consterné» par la nouvelle. «Son combat inlassable contre les dictatures, pour la mémoire, la vérité et la justice est un exemple pour les nouvelles générations».
Née le 4 décembre 1928 à Ensenada, près de La Plata dans une famille modeste, mariée à 14 ans et n’ayant connu que l’école primaire, elle a 39 ans lorsque la Guerra Sucia (la Sale Guerre) bouleverse son existence et celle de ses trois enfants.
En 1977, ses deux fils sont enlevés, Jorge Omar (8 février), Raúl Alfredo (6 décembre) puis l’épouse de Jorge, María Elena Bugnone Cepeda (25 mai 1978). Hebe Pastor de Bonafini ne sait vers qui se tourner lorsqu’une mère de disparu lui propose de se joindre à un rassemblement devant la Casa Rosada. C’est le début d’un combat que seule la mort, dit-elle, pourra arrêter.
Outre quarante années de rassemblements, Hebe de Bonafini et les Madres de Plaza de Mayo avaient à leur actif vingt-cinq années de «marches de résistance» de vingt-quatre heures d’affilée, jusqu’au 26 janvier 2006, où elles reconnurent être vaincues par l’âge.
Aujourd’hui, les Mères, que la combative Hebe Pastor de Bonafini dirigeait depuis 1979, se retrouvent toujours le jeudi devant l’obélisque de Plaza de Mayo, mais désormais pour dénoncer toutes les formes d’oppression, une évolution qui, en 1986, a provoqué leur scission.
L’association des Mères de la place de Mai-ligne fondatrice, présidée par Estela Barnes de Carlotto, est dédiée purement à la défense des droits humains, tandis que celle de Hebe de Bonafini est plus politisée.
Controverse
Après s’être réjouie des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, elle avait réagi à l’attaque meurtrière contre l’hebdomadaire satirique français «Charlie Hebdo», en janvier 2015, en estimant que «la France colonialiste qui a laissé des pays dans la ruine n’a pas l’autorité morale pour parler de terrorisme criminel. Demandez aux Algériens, aux Haïtiens et à ses dizaines de colonies.»
Défenseuse des régimes de Chávez puis de Maduro au Venezuela, elle était également devenue une figure controversée en Argentine pour son soutien inébranlable aux époux Kirchner.
La fondation qu’elle dirigeait, Rêves partagés des Mères, est devenue, sous la présidence de Nestor puis de Cristina Kirchner, une ONG de 6000 employés, recevant de l’État un total de 129 millions d’euros pour la construction, notamment, de logements sociaux et d’hôpitaux.
En 2017, un scandale impliquant son fondé de pouvoir, soupçonné de blanchiment d’argent, l’a éclaboussée, ainsi que sa fille Alejandra Bonafini, alors directrice de la fondation, et plusieurs responsables gouvernementaux. Elle avait alors dénoncé une «manœuvre» politique du président Mauricio Macri (2015-2019) qu’elle avait qualifié d’«ennemi».