Football: Les arbitres doivent-ils s’entraîner au sifflet?

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FootballLes arbitres doivent-ils s’entraîner au sifflet?

Les directeurs de jeu avalent de la théorie, des images et des kilomètres de course, mais n’ont pas accès à des entraînements spécifiques entre deux matches. Un problème?

Florian Vaney
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Florian Vaney
Fedayi San, arbitre FIFA sifflant en Super League.

Fedayi San, arbitre FIFA sifflant en Super League.

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Durant toute la semaine, Le Matin.ch élargit le débat autour du thème de l’arbitrage en Suisse. Voici le deuxième épisode.

La réflexion sort de la bouche de Sébastien Bichard. Sur le plateau d’une émission consacrée au football régional de la chaîne La Télé, le technicien Franco-Suisse, actuel assistant d’Alain Giresse à la tête de la sélection du Kosovo, lance la bouée: «Il faut aider les arbitres à se développer.» Pourquoi? Comment? Il développe. «Nos arbitres suivent un programme d’entraînement de haute performance, mais ils ne s’entraînent jamais la semaine spécifiquement par rapport à ce qu’ils vont rencontrer le week-end. Ils font du physique, de la théorie, mais ils ne sifflent pas.»

De prime abord, l’évidence saute aux yeux. Un footballeur passe sa semaine un ballon dans les pieds en prévision du match du week-end. C’est de l’entraînement spécifique, soit la base pour s’améliorer quel que soit le domaine. Pour devenir un bon coureur, il faut courir. Pour devenir un basketteur agile aux lancers francs, il faut enchaîner les lancers francs. La logique se décline à l’infini ou presque, mais n’a pas encore gagné le cercle des arbitres suisses, pourtant loin d’être paresseux en matière de préparation.

Les arbitres suisses ne sentent pas le foot, vraiment?

Dans son fondement, l’idée n’est pourtant que peu remise en cause dans leur camp. Plusieurs arbitres nous ont fait part du bénéfice qu’ils pourraient tirer à se retrouver, en pleine semaine et pour beurre, un sifflet à la bouche et des cartons dans les poches. Dans son discours, Sébastien Bichard pointe du doigt cette idée répandue que les directeurs de jeu ne «sentent pas le foot» en Suisse. À ce stade, une question mérite d’être posée: la frustration des suiveurs de ballon rond découle-t-elle vraiment du manque de compréhension générale des arbitres, ou plutôt de l’application à la lettre des lois du jeu, décidée par l’IFAB et donc non imputable à des arbitres visant simplement à respecter le règlement?

Depuis les polémiques du week-end dernier en Super League, ce débat-là a pris une nouvelle dimension. Où en serait-il si les directeurs de jeu avaient accès à davantage d’entraînement sur le terrain? L’avenir ne pourra le dire uniquement le jour où les barrières qui séparent l’idée de sa mise en pratique tomberont.

«Tous les mercredis, je faisais venir un arbitre du club pour diriger notre opposition. J’ai vu qu’il y a énormément de choses qui se sont créées: le regard qu’on pose sur la personne, l’échange, l’appropriation de certains codes.»

Sébastien Bichard, ancien entraîneur du Stade Nyonnais

Le monde de l’arbitrage se voulant bien plus large que le sommet de sa pyramide, la première question à résoudre serait là: pour qui créer cette possibilité d’entraînement? L’arbitrage régional, constituant la base de la pyramide, fait actuellement face à un problème majeur de pénurie de main-d’œuvre. Ajouter une contrainte, c’est potentiellement décourager certains amateurs.

Pour ce qui est du haut de la hiérarchie, la problématique est différente. Plusieurs arbitres suisses sont régulièrement appelés pour diriger des matches européens en semaine. Autrement dit, ces rencontres s’ajoutent à leur bagage de qualités spécifiques. En paient-ils le prix, physiquement et mentalement, une fois arrivé le week-end de Super League? C’est une thèse défendable. Reste que ces semaines anglaises font plutôt office d’exception que de norme, et que leurs collègues cantonnés au sol helvétique auraient peut-être tout à gagner à pouvoir épisodiquement se rendre à un match interne d’entraînement du Servette FC, du Lausanne-Sport ou du FC Sion.

Gérer la proximité

Puisqu’on imagine mal l’ASF envoyer l’un de ses arbitres à l’entraînement d’Yverdon Sport le mercredi, puis siffler la partie disputée par les Nord-Vaudois le dimanche, c’est là que prend racine ce qui pourrait devenir un casse-tête organisationnel. Parce que la problématique logistique demeure sans doute la plus compliquée à démêler, dans un domaine où le clivage linguistique du pays se retrouve fréquemment pointé du doigt.

À l’époque où il coachait le Stade Nyonnais en Promotion League, Sébastien Bichard avait pourtant rendu la démarche particulièrement accessible à son échelle. «Tous les mercredis, je faisais venir un arbitre du club pour diriger notre opposition. Pour rapprocher le plus possible mes joueurs d’une situation de matches autant que pour aider un jeune arbitre à progresser. J’ai vu qu’il y a énormément de choses qui se sont créées: le regard qu’on pose sur la personne, l’échange, l’appropriation de certains codes. Tout ce qu’on ne vit pas autrement, puisque les relations entre les arbitres et les équipes sont celles d’un conflit permanent.»

Plus que créer des compétences, on parle ici d’unir les acteurs d’un même milieu. À une heure où l’on souffre pour boucler les budgets et où celui alloué à l’arbitrage est loin d’être extensible, ces belles paroles trouveront-elles écho?

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