Football: Humeur: Quand Manchester City devient une équipe de 5e ligue

Chez nous aussi, on sait bien que cela ne doit pas arriver parce que l’on n’arrête pas de le répéter week-end après week-end. De l’entraîneur aux remplaçants en passant par le préposé à la buvette, tout le monde s’accorde à le dire… Mais, malgré toutes les recommandations d’usage, cela arrive quand même en 4e ou en 5e ligue, parfois même plus haut dans la pyramide des catégories de jeu.

Chacun peut raconter le souvenir de l’incroyablement renversement d’une équipe inscrivant deux buts dans les dernières secondes alors qu’elle était encore menée 1-0 sur sa pelouse quelques instants plus tôt. Ce n’est pas fréquent mais cela peut arriver. Et lorsque cela se produit, on loue autant le caractère de l’équipe qui n’a jamais lâché, y ayant cru jusqu’au bout, que l’on stigmatise le manque de concentration des défenseurs adverses, têtes en l’air au point de ne plus savoir pourquoi ils sont là.

Mais ce que l’on voit généralement plutôt sur nos terrains de campagne, le plus souvent devant quelques personnes éparpillées, est arrivé mercredi soir en mondovision à Madrid sur la pelouse de Bernabeu en demi-finale retour de la Ligue des champions. Un dénouement incroyable, à la mesure de ce qu’aura été ce double affrontement de folie (3-4, 3-1 ap).

Dans le rôle de la victime (pour le moins consentante), un Manchester City estimant avoir déjà posé 9 orteils - et peut-être même les deux pieds - au Stade de France, théâtre de la finale du 28 mai. C’était oublier, erreur fatale, qu’en face, il y avait ce Real capable de tout, y compris de rendre possible l’impossible, ce dont la Maison-Blanche a fait sa spécialité. Après s’être échauffés contre le PSG en quart de finale et Chelsea en demi, les Merengue ont remis le couvert contre les Citizens, lesquels se sont retrouvés piégés comme l’aurait été une équipe de 5e ligue vaudoise alors qu’ils n’en avaient juste pas le droit.

Tous les coaches du monde vous le diront: se prendre deux buts à la 90e, en moins de temps qu’il n’en faut pour les encaisser, ne devrait pourtant jamais arriver, encore moins dans ces circonstances-là. Mais les stars de City ont commis le péché d’orgueil et des erreurs habituellement attribuées aux footballeurs du dimanche matin. A trop vouloir jouer à tout prix au point de galvauder le 2-0 de la sécurité à plusieurs reprises, les Citizens, convaincus à tort que rien ne pouvait les détourner du but, en ont oublié de gérer correctement l’acquis. 

Servi par la prestation hors-norme de Courtois et de son soulier de géant sur l’arrêt capital de la 87e minute, l’incroyable exploit nous a renvoyés à notre condition d’amateurs d’émotions que seul le sport sait offrir dans une intensité pareillement dramatique. C’est sans doute là la beauté universelle du football, qui s’impose autant lors d’une grandiose demi-finale des Champions qu’en séries inférieures. Quand l’irrationnel s’invite jusqu’à proposer un ascenseur émotionnel hors du commun.

Ce sera donc le paradis parisien - et de délicieuses retrouvailles avec Liverpool - pour le Real. L’enfer et la curée pour City, trouvant moyen de transformer un succès que l’on se serait accordé à qualifier de mérité en couac indigne parce qu’inadmissible. Demeuré très digne dans la défaite, Pep Guardiola n’allait pas chercher d’excuses ni de faux-fuyants en rendant hommage aux vainqueurs. «Je ne me croyais pas en finale, nous en étions proches, devait-il convenir devant les médias. Mais ils savent écrire l’histoire, il faut les féliciter…» Et le manager des Skyblues de lâcher cet aveu résonnant comme une sanction définitive. «Ensuite, il y a eu ces deux minutes…» 120 secondes d’un black-out total.

La classe des perdants renvoyait au bonheur contagieux des finalistes. La magie du foot comme elle peut être vécue là-bas et ici, à Madrid comme à Tolochenaz, Puidoux-Chexbres ou Gimel.