Sophie Pétronin fache Paris – Le fils de l’ex-otage: «Ma mère va très bien»

Publié

Sophie Pétronin fâche ParisLe fils de l’ex-otage: «Ma mère va très bien»

Sébastien a bataillé près de quatre ans pour exfiltrer sa mère du Mali, enlevée par des djihadistes. Début mars, dans le plus grand secret, l’ancien restaurateur de Porrentruy (JU) l’y a raccompagnée. Pourquoi?

Evelyne Emeri
par
Evelyne Emeri
Le 9 octobre 2020: l’humanitaire française, libérée la veille, et Sébastien Chadaud-Pétronin (de face), son fils, atterrissent à l’aéroport militaire de Villacoublay, près de Paris. L’ex-otage est attendue par ses proches et accueillie par le président de la République, Emmanuel Macron.

Le 9 octobre 2020: l’humanitaire française, libérée la veille, et Sébastien Chadaud-Pétronin (de face), son fils, atterrissent à l’aéroport militaire de Villacoublay, près de Paris. L’ex-otage est attendue par ses proches et accueillie par le président de la République, Emmanuel Macron.

AFP

«J’y reviendrai». En posant le pied sur le sol français le 9 octobre 2020, tout juste libérée après trois ans et neuf mois de captivité aux mains d’un groupe djihadiste au Mali, l’ex-otage française Sophie Pétronin avait dit vrai. Elle rentrerait «chez elle», là où elle vit depuis une vingtaine d’années. D’une part, pour y retrouver sa fille de cœur qu’elle n’a plus vue depuis son enlèvement le 24 décembre 2016 à Gao; d’autre part, pour y poursuivre son sacerdoce: venir en aide aux populations les plus démunies, principalement les nourrissons et les enfants en bas âge, orphelins.

ONG vaudoise

En 2005, la laborantine de profession – qui a exercé notamment à Genève et en Valais - fonde l’ONG vaudoise, Association d’aide à Gao (AAG), pour officialiser sa mission. Et quitte définitivement l’Europe. Les Alpes suisses ont emporté son deuxième fils en 2002. Elle doit passer à autre chose. Ce qu’elle fait admirablement. Elle voue sa nouvelle existence au Mali et à Zeinabou, une petite fille qu’elle adopte à Gao. Elle échappe à une première prise d’otage en 2012. Elle n’aura pas cette même chance à Noël en 2016. Au sortir de son dispensaire, elle s’apprête à repartir avec sa voiture. C’est le guet-apens et l’enlèvement.

Appel au secours

Retenue dans les sables du Sahel, elle est filmée en juin 2018 et fait craindre le pire à son fils Sébastien Chadaud-Pétronin qui n’a pas attendu un an et demi avant de s’époumoner auprès des Affaires étrangères à Paris et dans les médias. Pour la première fois, même s’il s’agit d’une vidéo, il revoit sa mère, assise sous une tente, voilée. Elle écoute une interview qu’il a donnée à RFI dans laquelle il l’exhorte à tenir le coup, elle lui dit aussi qu’une rencontre est possible et que ses ravisseurs ne lui feront pas de mal. En clair, elle l’appelle au secours et n’hésite pas à affirmer que le gouvernement français ne veut pas négocier.

«En coma sentimental»

Cet appel au secours, l’Ardéchois, patron d’une brasserie à Porrentruy (JU) à ce moment-là, le comprend parfaitement. Il doit partir au Mali, il veut partir négocier avec un médiateur. Le père de famille est plus déterminé que jamais après avoir visionné cette vidéo. Il accepte de se confier au matin.ch, il explique son déclic: «Ma mère, c’est un roc! Ses larmes reflètent un profond désarroi et une grande détresse. Elle est comme plongée dans un coma sentimental. Son regard m’a suffi: j’ai ressenti ce qu’elle me demandait». Il prépare son voyage. Le Quai d’Orsay ne s’oppose pas à son périple, à ses risques et périls.

Opaques négociations

La suite se passera et se décidera dans les coulisses de bureaux feutrés jusqu’à l’exfiltration quelque part dans l’immensité du désert. Dans quels bureaux? Le premier ministre français Jean Castex prétend ne pas être intervenu dans les négociations entre le gouvernement malien et les djihadistes. L’ex-otage recouvre la liberté le 8 octobre 2020 avec trois autres otages (ndlr. dont l’opposant Soumaïla Cissé décédé depuis) en échange de la libération de 200 djihadistes traqués par les soldats français de la force Barkhane. Le lendemain, Sophie Pétronin atterrit avec son fils Sébastien à l’aéroport militaire de Villacoublay, près de Paris. Attendue par ses proches, elle est accueillie par le président de la République, Emmanuel Macron.

Prisonnière en Suisse

C’est en Suisse dans un village du canton de Neuchâtel que la travailleuse humanitaire, âgée aujourd’hui de 76 ans, part s’installer là où habitent son fils et sa famille. L’ex-otage devrait renouer avec la liberté. C’est tout le contraire. Elle a des idées noires. Elle veut repartir au Mali, elle veut rentrer chez elle. Et c’est finalement très vite que Sébastien constate qu’elle «se sent encore plus prisonnière que dans le désert». Le week-end passé, Sophie Pétronin a accepté de se confier à Mediapart, plus particulièrement à Anthony Fouchard qui connaît bien la Française. Notre confrère n’est autre que l’auteur d’un livre sur sa captivité, «Il suffit d’un espoir», publié en mai 2021.

La fuite depuis Genève

Le journaliste révèle comment le duo mère/fils s’y est pris pour déjouer tous les pièges de Genève à Bamako début mars 2021 déjà, cinq mois seulement après sa libération. Il raconte l’attachement de la fondatrice de l’association vaudoise au Mali, à Gao et à sa fille adoptive dont elle a été séparée durant 1384 jours. Toutes ses demandes de visa ont été refusées en Suisse et en France. Ses tentatives pour faire venir sa fille en Europe sont trop lentes. Alors, plus d’autre alternative. Sophie et Sébastien vont plonger dans l’illégalité et disparaître des radars, poursuit le site d’information.

Cointrin ferme les yeux

Ils sont repérés à l’aéroport de Genève. La Française est toujours sur la liste des personnes recherchées, son fils est fiché dans la base Interpol. Leurs billets d’avion pour le Sénégal leur permettent d’invoquer un besoin de soleil après un hiver gris en Suisse. Et ça fonctionne: la permission d’embarquer leur est donnée. On nage en pleine fiction. À Dakar, c’est l’épreuve Covid qu’il faudra passer. Les frontières sont fermées à moins d’une dérogation. Ils n’en ont pas. Là encore, c’est facile: 100 euros d’amende par personne ou retour en Suisse. Les fugitifs paient et vont s’installer à la pointe des Almadies, un lieu touristique à 10 km de la capitale.

Les douanes aussi

Le reste se fera à bord d’un bus aussi déglingué que bondé, détaille Mediapart. 35 heures de voyage. Sophie Pétronin se voile pour passer la plus inaperçue possible. Ils appréhendent la dernière étape: la frontière avec le Mali, sans visas. Les bus ne la franchissent plus en raison de la pandémie. Des mototaxis prennent le relais et il faudra passer la douane. Un policier sénégalais reconnaît l’ex-otage, puis son fils, ultra-médiatisés. Ils se mettent à discuter en particulier de Zeinabou, qui n’a pas revu sa mère adoptive depuis Noël 2016. Le fonctionnaire les laisse passer en souriant. Reste son homologue malien qui les accueille avec un «Alors, comment elle va la maman?» Quelques billets glissés plus tard, autre bus et encore dix heures de route.

Avis de recherche suspect

À son arrivée à Bamako, elle loge dans un appartement discret. Elle affirme à notre confrère Anthony Fouchard que «les autorités suisses, françaises et maliennes n’ignorent rien de son arrivée». Quelques jours après, elle retrouve sa fille qui arrive de Gao. Rien ne lui importe plus. Durant cette trop longue séparation, Zeinabou a passé son baccalauréat. Jusqu’à samedi dernier, elles vivaient toutes les deux tranquillement à Bamako. Ce samedi 30 octobre, un avis de recherche a pourtant été lancé par les autorités maliennes à l’encontre de Sophie Pétronin pour «l’appréhender». Pourquoi maintenant alors que le président Macron a annoncé la fin progressive de l’opération Barkhane au Mali et que celui-ci accuse la France «d’abandon en plein vol»?

Affront aux militaires

Faut-il y voir une nouvelle provocation diplomatique? Le timing interpelle précisément. Cet avis de recherche intervient presque huit mois après l’entrée illégale de la septuagénaire sur le territoire malien. Elle aurait été vue dans le sud du Mali vers Sikasso, une zone rouge jugée dangereuse par l’État français. Ce qu’elle dément dans Mediapart: «Je n’y ai pas mis les pieds une seule fois en 20 ans». Les autorités maliennes et françaises ne commentent pas. En revanche, les révélations de Mediapart ont scandalisé le gouvernement français et une large majorité de la classe politique. Tous qualifent le retour de l’ex-otage au Mali comme irresponsable et comme un affront vis-à-vis des militaires qui vont justement secourir à l’étranger des ressortissants français comme elle, au péril de leurs vies.

«Je ne suis pas inquiète»

Que risque Sophie Pétronin? Est-elle à son domicile dans la banlieue de Bamako ou a-t-elle fui dès qu’elle a compris qu’elle était activement recherchée? Son témoignage exclusif ce mardi 2 novembre dans la presse est pourtant postérieur à la diffusion de l’avis de recherche sur les réseaux sociaux. «Pourquoi irresponsable ? Je suis chez moi ici, a-t-elle dit au téléphone à un correspondant de l’AFP, répondant ainsi au gouvernement français, Oui, je suis au Mali depuis un moment. Mais je ne suis pas inquiète et je ne suis pas inquiétée. Je n’embête personne et personne ne m’embête. Je ne sais pas si je suis recherchée et pourquoi.»

Des poursuites?

Dans l’impossibilité de joindre sa mère, lematin.ch a recontacté Sébastien Chadaud-Pétronin qui a joué un rôle capital dans toute cette affaire. De la prise d’otage à la libération, de leur retour en Suisse à leur nouveau départ vers le Mali et leur arrivée à Bamako. Mercredi après-midi 3 novembre, le quinquagénaire a décliné tout entretien téléphonique, la conversation aura duré trois petites minutes: «Je ne peux pas faire de déclarations. Il faut qu’on voit avec le reste de la famille si on parle ou pas. Pour l’instant, on ne souhaite pas s’exprimer».

Nous insistons: «N’était-ce pas trop risqué? Où est votre maman actuellement? Comment va-t-elle?» Pour unique réponse, nous obtiendrons: «Ma mère va très bien». Il est vrai que la situation est extrêmement délicate pour lui aussi. Le fils de l’ex-otage va-t-il être poursuivi par la justice? Et si oui, par la justice de quel État? Le Neuchâtelois d’adoption a promis de nous parler dès qu’il le pourrait.

Ton opinion

16 commentaires