Nouvelle-CalédonieL’État à l’offensive pour rétablir l’ordre, «quoi qu’il en coûte»
Pour reprendre le contrôle d’une situation insurrectionnelle, l’exécutif a donné dimanche la priorité au dégagement d’un axe stratégique de Nouvelle-Calédonie.
L’État est passé à l’offensive dimanche en Nouvelle-Calédonie pour y rétablir «l’ordre républicain», «quoi qu’il en coûte», en commençant par une opération d’envergure sur la route entre Nouméa et son aéroport, après six morts en six jours d’émeutes et malgré des appels politiques à temporiser.
Confronté à un risque d’enlisement dans une crise inextricable, le président Emmanuel Macron a convoqué un nouveau Conseil de défense lundi à 18 h 30.
La colère des indépendantistes, provoquée par une réforme du corps électoral de l’archipel du Pacifique Sud (270’000 habitants), a enclenché un cycle de violences marqué par des jours et des nuits d’incendies et d’affrontements.
«Je veux dire aux émeutiers, stop, retour au calme, rendez vos armes», a lancé dimanche le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, Louis Le Franc. «L’ordre républicain sera rétabli, quoi qu’il en coûte», a martelé le représentant de l’État. «Les consignes de fermeté sont passées», a abondé le ministre de l’Intérieur et des Outremer Gérald Darmanin, dans un message sur X.
Axe stratégique
Pour reprendre le contrôle d’une situation insurrectionnelle, l’exécutif a donné la priorité au dégagement de la route entre Nouméa et l’aéroport international de La Tontouta, situé à une cinquantaine de kilomètres au nord-ouest de la «capitale» calédonienne et fermé aux vols commerciaux.
Sur cet axe stratégique pour permettre le réapprovisionnement du sud de la grande île, soumis à des pénuries, l’État a lancé dimanche une vaste opération avec 600 gendarmes, dont une centaine de membres du GIGN, unité d’élite. Un convoi constitué de blindés de la gendarmerie et d’engins de chantier a parcouru cet axe pour y supprimer «76 barrages», selon Gérald Darmanin. Mais la voie est encore encombrée à de nombreux endroits de carcasses de voitures brûlées, ferraille et bois entassés.
Les gendarmes «sont passés, ils ont déblayé, et nous, on est restés sur le côté», a confié à l’AFP Jean-Charles, la cinquantaine, tête enturbannée d’un foulard et drapeau kanak à la main à La Tamoa, à quelques kilomètres de l’aéroport. «Une fois qu’ils sont passés, on a remis le barrage».
Six morts
Depuis le début de la semaine, les violences ont fait six morts, le dernier en date samedi, un Caldoche (Calédonien d’origine européenne) à Kaala-Gomen, dans la province Nord. Les cinq autres morts sont deux gendarmes et trois Kanak (autochtones), dans l’agglomération de Nouméa.
La reconquête des voies et quartiers bloqués devrait être un travail de longue haleine, alors que les dégradations continuent et que les forces de l’ordre estiment le nombre d’émeutiers entre 3000 et 5000.
«Des écoles ont encore été détruites», de même que «des pharmacies, des centres vitaux d’approvisionnement alimentaire, des surfaces commerciales», a listé dimanche Louis Le Franc, ajoutant: «On commence à manquer de nourriture».
Le haut-commissaire a annoncé de nouvelles opérations des unités d’élite de la police et de la gendarmerie là où il y a des «points durs», dans les villes de Nouméa, Dumbéa et Païta notamment.
«Grâce aux 700 forces de l’ordre supplémentaires arrivées et aux 350» qui devaient les rejoindre dimanche, «dont de nombreux militaires du GIGN et policiers du RAID, les opérations vont se multiplier», a confirmé Gérald Darmanin.
«Groupes de protection»
Louis Le Franc a appelé les habitants ayant constitué des «groupes de protection» pour défendre leurs quartiers face aux émeutiers «à ne pas commettre l’irréparable», qui provoquerait «un embrasement général».
Pour la population, se déplacer, acheter des produits de première nécessité et se soigner devient plus difficile chaque jour. Les obstacles à la circulation compliquent la logistique pour approvisionner les magasins, surtout dans les quartiers les plus défavorisés.
«L’île la plus proche du paradis est devenue l’île la plus proche de l’enfer», ont écrit les Églises catholique et protestantes de Nouvelle-Calédonie dans une déclaration commune lue aux messes et cultes de Pentecôte, lançant «un vigoureux appel à l’arrêt des violences».
Les mesures exceptionnelles de l’état d’urgence sont maintenues, à savoir le couvre-feu entre 18 h 00 et 6 h 00, l’interdiction des rassemblements, du transport d’armes et de la vente d’alcool et le bannissement de l’application TikTok.
L’interdiction de ce réseau social, destinée notamment à limiter les contacts entre émeutiers, fait l’objet d’un recours d’associations de défense des libertés qui sera examiné en urgence mardi par le Conseil d’État.
Établissements scolaires fermés
Dimanche, le gouvernement calédonien a annoncé que les collèges et lycées resteraient fermés jusqu’au 24 mai inclus sur tout le territoire. Les écoles de la province Sud garderont portes closes toute la semaine.
La réforme constitutionnelle, qui a mis le feu aux poudres, vise à élargir le corps électoral aux scrutins provinciaux de Nouvelle-Calédonie, au risque de marginaliser «encore plus le peuple autochtone kanak», selon les indépendantistes. Elle a été adoptée par les députés, après les sénateurs, dans la nuit de mardi à mercredi.
Ce texte doit encore être voté par les parlementaires réunis en Congrès avant la fin juin, sauf si un accord sur un texte global entre indépendantistes et loyalistes intervient d’ici là.
La présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet, son homologue au Sénat Gérard Larcher et plusieurs parlementaires de tous bords ont demandé vendredi une mission de dialogue. Le consensus semble moins net sur un report de la convocation du Congrès, réclamé dimanche par l’ancien Premier ministre Manuel Valls.
«La demande que je formule au gouvernement, c’est de nous donner encore un peu de temps, aujourd’hui, pour essayer de trouver une solution politique», a souligné dimanche soir sur BFMTV Milakulo Tukumuli (Eveil océanien), vice-président de la province Sud.
En outre-mer, les présidents de plusieurs exécutifs (région Réunion, département de la Guadeloupe, collectivités territoriales de Martinique et de Guyane) et près d’une vingtaine de parlementaires ont demandé le «retrait immédiat» de la réforme pour empêcher une «guerre civile».