GenèveLisa Mazzone: «Il y a nécessité d’améliorer le niveau des rentes»
La conseillère aux États genevoise réagit à la polémique cantonale sur le délai de versement des rentes AVS et AI. Comment expliquer qu’un report de quelques jours puisse mettre autant de gens dans l’embarras?
- par
- Eric Felley
Mercredi, au terme de sa séance hebdomadaire, le Conseil d’État genevois, par la voix de son président Serge Dal Busco, a exprimé son insatisfaction par rapport au versement retardé des rentes AVS et AI dans le canton à partir de 2022. Pour rappel, la semaine dernière, l’Office cantonal des assurances sociales (OCAS) – qui est un organe autonome – avait informé les bénéficiaires (environ 60 000) que dès l’année prochaine, les rentes ne seraient plus versées le premier du mois, mais qu’il faudra attendre le 6, voire le 10. Selon l’office, ce sont des contingences informatiques qui justifient ce changement de pratique.
Le 4 du mois?
Cette annonce a soulevé un tollé dans les milieux de défense des retraités. Après l’intervention du conseiller en charge des affaires sociales, Thierry Apothéloz, une date a été convenue au 4 du mois. «On peut se retrouver confronté à des problèmes d’endettement et de précarité chez de nombreuses personnes, notait mercredi Serge dal Busco. Il y a une marge de manœuvre qui doit être utilisée pour trouver une solution au plus près de la situation actuelle, en tenant compte des besoins des personnes assurées et de la réalité de l’OCAS». Les syndicats et les partis de gauche au Grand Conseil demandent d’en rester au premier du mois.
Cette polémique sur le jour de versement des rentes révèle une nouvelle fois la précarité dans laquelle se trouvent certaines catégories de personnes à Genève. La conseillère aux États Lisa Mazzone (Vert.e.s/GE) estime que c’est l’occasion de rappeler que les rentes AVS doivent être renforcées.
Comment expliquez-vous que dans un pays aussi riche que la Suisse, le fait de retarder d’une semaine le paiement d’une rente mette autant de gens en difficulté?
Le risque élevé de précarité après la retraite est connu depuis longtemps. Les personnes de cette classe d’âge sont deux fois plus touchées par la pauvreté en termes de revenu que la population totale et près de trois fois plus que la population en âge de travailler. Il est donc nécessaire de renforcer enfin le niveau des rentes AVS. On voit bien que pour de nombreuses personnes, en particulier les femmes, ce revenu est absolument déterminant. La problématique soulevée par ce changement de pratique concerne aussi les personnes au bénéfice de l’AI, qui font face aux mêmes difficultés.
Un marchandage déplacé
Le projet de l’OCAS était de repousser le versement des rentes du 1er au 6, voire au 10 du mois. Suite au tollé, il serait fixé au 4 du mois. N’avez-vous pas l’impression d’un marchandage déplacé?
À mon avis, on ne peut pas prétendre qu’il s’agit d’une question de technique informatique. Il y a eu là un cafouillage sur lequel je ne veux pas m’exprimer. Mais on ne peut pas se permettre de laisser les personnes concernées dans une telle situation, avec le stress et les ennuis qui l’accompagnent. Ce versement est particulièrement essentiel pour payer le loyer ou pour les frais imprévus, pensons simplement aux frais dentaires.
Comme il s’agit d’assurances sociales fédérales, y a-t-il un moyen d’action aux Chambres fédérales?
C’est de la compétence des cantons et je n’en vois pas. En revanche, il y a nécessité d’améliorer le niveau des rentes, pour qu’elles garantissent une vie digne. Et ça, c’est du ressort fédéral. En particulier pour les femmes et les personnes vivant seules, qui sont à risque. Malheureusement, avec AVS 21, cela ne prend pas cette direction, mais au contraire celle d’une péjoration pour les femmes.
À l’instar des distributions alimentaires lors de la pandémie
D’une manière générale, qu'est-ce que cette polémique dit de la précarité dans notre pays?
Elle est malheureusement trop méconnue du grand public, bien qu’elle soit documentée. Elle reste en partie cachée, en particulier dans notre pays, où l’on a tendance à la passer sous silence. Dès qu’elle se dévoile au grand jour, on s’étonne, comme lors des distributions alimentaires lors de la pandémie. Or, la précarité en Suisse est connue, détaillée par des études. La politique, si elle prétend la découvrir, a donc fermé les yeux jusque-là. C’est la responsabilité du politique de lutter contre cette pauvreté, d’améliorer le niveau des rentes et renforcer la redistribution des richesses.