Montreux (VD) - Tombés du 7ème étage: quatre morts et de multiples inconnues

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Montreux (VD)Tombés du 7ème étage: quatre morts et de multiples inconnues

La chute dans le vide de cinq membres d’une même famille jeudi à Montreux est un mystère. L’acte délibéré et collectif paraît peu probable. Les premiers éléments désignent le père.

Evelyne Emeri
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Evelyne Emeri

Quelques secondes. Quelques secondes pour que la perle de la Riviera vaudoise perde de son lustre. Et devienne le théâtre d’une inimaginable et inconcevable réalité. Environ 25 mètres de chute libre depuis le 7ème étage. Un couple de parents, une femme et deux enfants gisent sur le bitume, au pied de leur immeuble situé à l’avenue du Casino à Montreux. Il est environ 06h45 hier, jeudi 24 mars, lorsque «des masses tombent», nous racontera un témoin, qui n’a toujours pas conscientisé qu’il s’agissait d’êtres humains. Il est si mal - et il n’est pas le seul à avoir assisté à cette scène dantesque - qu’il extériorise même les indicibles détails après les impacts.

«La norme de l’acceptable»

Dans l’après-midi, après le départ du déploiement policier, des experts scientifiques et des légistes, après la levée des corps et le cortège des corbillards, le temps radieux et les paysages de rêve, lac ou montagne, tranchent, comme si rien ne s’était passé. Toutes les personnes rencontrées sur place sont, au-delà d’un légitime état de choc, dans une incompréhension massive. Parce que «ce fait divers dépasse la norme de l’acceptable en matière de circonstances et d’inconnues», nous explique un spécialiste de gestion de crise qui vit dans le quartier. Au sol, plus aucune trace de l’effroyable tragédie qui s’est nouée à huis clos peu après le passage de deux gendarmes. Ceux-ci étaient venus chercher le père de famille manu militari, puisqu’il ne répondait pas aux convocations administratives.

«Il y avait quelque chose qui clochait»

Des voisins 

La vue depuis le 7ème étage de cet immeuble est mirifique. Le cinq-pièces et ses trois balcons sont idéalement placés. Depuis l’automne 2019, une famille s’y est installée. «Elle venait du Valais. Leur voiture a longtemps gardé les mauvaises plaques», souffle un résident. Y vivaient un père de 40 ans, son épouse de 41 ans et sa sœur jumelle, ainsi que les enfants du couple, une fillette de 8 ans et son grand frère de 15 ans. Tous étaient des ressortissants français. Certains voisins attestent qu’ils n’étaient presque jamais là. D’autres certifient tout le contraire: «Ils vivaient reclus, repliés sur eux-mêmes, ils ne voulaient pas de contacts. Ils ne répondaient même pas à nos «Bonjour». Il y avait quelque chose qui clochait. Ils n’étaient pas normaux».

Un «commercial» en short 

Ils sont décrits comme des gens discrets et sans histoires. Le voisinage s’accorde à dire «qu’ils ne sortaient jamais ou alors tous ensemble, à cinq. La petite avait souvent une robe jaune. Et le père, un sauvage, vivait à l’année en short de cycliste, c’était particulier, sauf depuis six mois: il portait des jeans. Il était très grand, son fils aussi pour ses 15 ans. La maman se déplaçait avec une canne. Personne ne sait pourquoi». De quoi vivaient-ils? Si la mère était dentiste et sa sœur ophtalmologue, on ignore si les jumelles d’origine arabe exerçaient encore. À Paris il y a longtemps, en Suisse romande ensuite. Concernant le papa, il se faisait livrer des dizaines de paquets par semaine de toutes marchandises confondues. Les locataires de l’immeuble pensent qu’il était «commercial» sur internet.

«Qui est là?» et le silence

Alors comment en est-on arrivé à ce point de rupture? Cette famille semblait ne faire aucune vague. Pas un bruit. Pas d’éclats de voix. Pas de disputes. Mais des enfants qui n’étaient pas scolarisés dans la commune de Montreux. La fillette serait même passée complètement sous les radars des autorités communales. Les gendarmes, qui s’apprêtaient à exécuter le mandat d’amener jeudi matin, venaient chercher le père uniquement en lien avec la scolarisation à domicile du fils, ainsi que l’a communiqué la police cantonale sous la conduite du Ministère public vaudois. Les deux agents ont entendu quelqu’un leur demander qui étaient là à travers la porte, ce à quoi ils ont répondu avant d’être confrontés à un silence total. Sans réponse, ils ont quitté les lieux, indique encore le service de presse. Les gendarmes auraient pu insister, ils ne l’ont précisément pas fait. Par égard.

Inconnu des services de police

Le mandat d’amener délivré par la préfecture a-t-il, peut-il, véritablement avoir fait pareillement vriller l’entier de la famille? Pourquoi une telle panique fulgurante? Avai(en)t-il(s) (ndlr. le père) autre chose à cacher ou à se reprocher? Il n’empêche que tous les cinq ont chuté depuis l’un des balcons de leur logement. L’acte volontaire, en particulier concernant les enfants, paraît totalement improbable. Les premières constatations pointent le père, inconnu des services de police, qui aurait poussé les siens dans le vide: sa femme, sa belle-sœur et sa fillette. La fraction de seconde d’après, il aurait sauté en tenant son fils qui lui résistait, unique survivant grièvement blessé. 

Le père, seul contre tous?

À deux femmes adultes contre un; ou à quatre contre un si l’on prend en considération les enfants du couple, comment peut-on contraindre, seul, quatre autres personnes à se jeter du 7ème étage? Et pourquoi? Le père de famille était-il armé? Les a-t-il blessés ou maîtrisés pour pouvoir les précipiter par-dessus la balustrade? Ou encore: le véritable drame s’est-il joué durant la nuit et le coup de sonnette de la police n’a-t-il été que le déclencheur de ce massacre? Sur la porte de l’appartement, un médaillon est suspendu au judas. Il y est écrit «Jesus is the reason for the season». Qu’il n’est pas utile de surinterpréter à ce stade précoce des investigations.

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