ColombieUn fléau, les hippopotames d’Escobar attirent les touristes
Les experts redoutent des accidents graves causés par ces mammifères introduits par le défunt baron de la drogue. Certains de ces animaux pourraient être transférés vers l’Inde et le Mexique.
En Afrique, il arrive en tête du palmarès des animaux les plus meurtriers pour l’homme. En Colombie, il gambade librement dans les eaux du fleuve Magdalena: les hippopotames d’Escobar, encombrant héritage du défunt baron de la drogue, n’en finissent pas de faire parler d’eux. Ces herbivores de près de deux tonnes vivent en toute liberté dans la province d’Antioquia, dans le nord de la Colombie, au point d’être devenus une attraction touristique.
Mais avec ce qui pourrait être aujourd’hui le plus grand troupeau d’hippopotames hors du continent africain – ils seraient environ 160 – les experts disent redouter la survenue d’accidents graves. Il y a quelques mois, l’un d’eux a fait irruption dans la cour d’une école, près de la ville de Doradal. «Nous nous sommes réfugiés dans les salles de classe», raconte à l’AFP, Dunia Arango, une enseignante habituée à faire cours avec en fond sonore le bruit guttural des mammifères.
Un nouveau troupeau semble avoir pris ses quartiers dans un petit lac à une vingtaine de mètres là, observe David Echeverri, un responsable de la Coronare, l’autorité environnementale locale. «Des enfants jouent par ici, ils peuvent s’approcher du groupe au risque de provoquer une tragédie». Derrière lui, une famille de trois hippopotames nage paisiblement, la truffe et les oreilles dépassant à peine de la surface de l’eau. «Là, vous les voyez très calmes. Mais leur comportement est imprévisible. À tout moment ils peuvent attaquer», souligne le responsable.
Pablo Escobar avait agrémenté à la fin des années 1980 le zoo de sa fantasque hacienda, à une centaine de kilomètres au sud-est de Medellin, d’une poignée d’hippopotames. À sa mort – il a été tué par la police en 1993 – les animaux ont été livrés à eux-mêmes et se sont reproduits de façon incontrôlée dans une région sillonnée de rivières, marécages et marais. Un habitat parfait pour ce mammifère qui reste dans l’eau une grande partie de la journée, avant d’en sortir au crépuscule pour aller brouter l’herbe.
«En paix avec eux»
Stérilisation, transfert vers des zoos à l’étranger, chasse: toutes les solutions ont été envisagées par les autorités, qui ont déclaré en 2022 l’espèce «invasive». Trop coûteuse, l’option de la stérilisation a été abandonnée. Quant à la chasse, elle a fait bondir les défenseurs de la cause animale. Désormais, est évoqué un transfert de quelque 70 individus vers l’Inde et le Mexique.
Dans la région, les imposants herbivores sont craints mais aussi désormais adorés. Ils sont en effet devenus une attraction de plus pour les milliers de touristes qui visitent chaque année l’hacienda du plus célèbre des narcotrafiquants. Un hippopotame en plâtre orne le principal parc de Doradal, où l’animal s’affiche sur les façades de nombreux magasins et ses figurines sont vendues comme souvenirs un peu partout. Alvaro Diaz, un pêcheur de 40 ans, lui, propose ses services pour des excursions sur le Magdalena, afin d’observer l’animal. «Nous les voyons très souvent (…) nous vivons en paix avec eux», assure-t-il.
John Aristides, un autre pêcheur de 33 ans, se souvient lui comme d’hier de cet après-midi d’octobre 2021, où il a lancé sa canne à pêche depuis la rive d’un cours d’eau: «Quand j’ai tendu le bras, l’hippopotame s’est jeté sur moi», raconte-t-il. Il lui a mordu le bras gauche et «l’a projeté à environ deux mètres (…)». L’infortuné pêcheur a passé près d’un mois à l’hôpital. C’est l’incident le plus grave recensé à ce jour, selon David Echeverri.
Les biologistes avertissent eux du fait qu’ils déplacent la faune locale, notamment le lamantin, une espèce menacée. Les éleveurs de bétail dénoncent quant à eux les dommages causés par leurs divagations nocturnes. Des chercheurs de l’Université nationale, un organisme public, estiment que la population pourrait atteindre le millier de spécimens d’ici à 2035. «Laissez-en quelques-uns!» plaide cependant depuis sa petite école Dunia Arango, disant s’être habituée à vivre avec eux.