CinémaQuand l’apocalypse s’invite au chalet
Avec «Knock at the Cabin», en salle le 1er février, M. Night Shyamalan signe un huis clos tendu et troublant aux résonances bibliques. Entretien avec le cinéaste.
- par
- Miguel Cid, Londres
Malgré une carrière en dents de scie, M. Night Shyamalan est incassable. Après le succès de la série «Servant» (sur Apple TV+) dont il est le showrunner, le cinéaste indo-américain revient inspiré sur le grand écran avec «Knock at the Cabin». Adapté d’un best-seller de Paul Tremblay, ce huis clos tendu et troublant contient tous les ingrédients d’un bon film d’horreur.
En vacances dans un chalet isolé en pleine forêt, un couple gay et leur fillette adoptée sont pris en otage par quatre individus armés et alarmants. Hantés par des visions, ils affirment que la fin du monde approche à moins que la famille ne sacrifie l’un des siens pour sauver l’humanité. Ces quatre cavaliers modernes de l’apocalypse sont-ils crédibles ou des désaxés complotistes? Et pourquoi l’un des otages croit-il reconnaître l’homophobe qui l’avait un jour violemment tabassé dans un bar et fini en prison? Entretien avec l’auteur du «Sixième Sens».
Vous avez écrit ce scénario en un temps record. Abordez-vous l’adaptation d’un roman différemment de l’écriture d’un script original? Et avez-vous hésité à changer un des fils du récit, comme vous l’avez fait?
Un scénario adapté possède un grand avantage parce qu’on a déjà une prémisse et parfois plein de personnages qui sont là pour être développés donc déjà un élan, ce qui a assurément été le cas pour ce film. L’auteur Paul Tremblay avait posé des bases magnifiques et j’ai juste continué à écrire. Et non, je n’ai eu aucun scrupule à faire des changements par rapport au bouquin parce que j’ai modifié son titre (ndlr.: le livre est intitulé «The Cabin at the End of the World») et j’ai dit que le film n’est pas une adaptation mais qu’il est inspiré du roman. Cela peut être un exercice intéressant pour les gens de comparer comment l’auteur a développé sa prémisse dans le livre et ce que j’ai fait avec le film.
Vous avez gardé le couple homosexuel du roman. Était-ce impératif pour vous de confier ces rôles à des acteurs gays?
C’était la prémisse du livre qui avait cette famille au cœur de l’histoire. Je trouve d’ailleurs magnifique le fait que les trois protagonistes n’aient pas de liens du sang. La composition de cette famille est belle et poétique, en vue du déroulement de l’intrigue. Par rapport au casting, j’espérais trouver des acteurs ouvertement gays qui pourraient jouer les rôles. Je ne sais pas ce que j’aurais fait si je n’avais pas déniché les bons comédiens. Mais je suis tombé sur Jonathan Groff et Ben Aldridge, qui forment le couple parfait.
Avez-vous apporté une touche personnelle à l’histoire?
L’aspect le plus personnel est en rapport avec la scène de l’adoption de la petite Wen par ses parents. Ma fille cadette est adoptée et le décor de l’orphelinat que l’on voit dans le film est inspiré de celui où ma femme et moi sommes allés récupérer notre benjamine. Pendant que nous attendions dans le hall, nous observions cette fresque de Jésus entouré de tous ces petits enfants blancs. J’ai recréé dans cette scène avec les parents ce que nous avons ressenti en faisant la connaissance de notre fille pour la première fois. Cela fait donc partie intégrante de l’histoire de notre famille.
Dave Bautista est impressionnant dans un rôle différent de ceux auxquels il nous a habitués. Lequel de ses films vous a inspiré pour lui confier ce personnage?
Il y a une scène dans «Blade Runner 2049» où il ne parle pratiquement pas et j’ai observé comment cet acteur arrivait à exprimer ce qu’il pensait à travers son corps. J’ai trouvé ça exceptionnel et j’ai demandé le nom de ce gars. À ce moment-là, je ne connaissais rien de lui, de son passé de catcheur ni de tout ça. Mais j’ai su que je regardais quelqu’un qui se trouvait à un tournant de sa vie.
Parlez-nous des aspects bibliques du film et du rôle que vous accordez à la religion.
J’ai fréquenté une école catholique pendant dix ans, avec tout ce que cela implique, les nonnes et le reste. Mes parents sont hindous. J’aborde la religion comme une mythologie et l’art de raconter des histoires. On peut me décrire comme quelqu’un de spirituel mais pas de religieux. Je me suis dit que cela serait de fun d’imaginer à quoi ressemblerait un récit biblique transposé dans le monde réel. Ces quatre intrus sont mal choisis pour être ceux qui annoncent l’apocalypse à cette famille qui n’est pas équipée pour affronter ça. Je trouve ça désagréablement drôle.
Vous racontez des histoires sombres pendant que le monde devient de plus en plus anxiogène mais vous déclarez toujours optimiste. Comment faites-vous?
J’ai toujours vu les choses comme ça. Je ne pense pas que le monde soit intrinsèquement mauvais. À mes yeux, l’univers est bienveillant. C’est juste ce que je ressens. Même maintenant, je constate que toutes les choses qui se produisent évoquent une escalade vers la fin du monde, ce qui est super effrayant. Et que si nous ne changeons pas notre façon de faire, tout sera fini dans cent ans. Mais j’observe en même temps la vitesse à laquelle les choses évoluent. Alors qu’il fallait vingt-cinq ans à une génération pour changer, il n’en faut aujourd’hui plus que cinq. La différence dans la façon de penser de mes filles, qui ont entre cinq ou six ans d’écart, est vertigineuse. On va dans la bonne direction. C’est un peu comme le compte à rebours dans ce film. Changeons-nous assez rapidement pour prendre le bon virage avant qu’il ne soit trop tard?
Les premières réactions sur le film ont été positives et certains affirment que vous êtes de retour en forme. Vous avez fait beaucoup de choses depuis «Le Sixième Sens», «Incassable» et «Signes», mais pas mal de gens considèrent que vos premiers films sont toujours les meilleurs. Êtes-vous de cet avis?
Non, pas du tout. Je pense que c’est simpliste de dire ça, trop facile. Comme si «The Visit» n’était pas un film majeur, ou «Split». Oh, et j’oublie «Le Village». Cette représentation des faits est commode mais la réalité est beaucoup plus complexe. Je suis content que tout le monde réagisse bien à «Knock at the Cabin», mais combien de fois a-t-on dit que j’étais de retour en forme? Mais bon, tout va bien. Quelle que soit la représentation des faits, je vais aller écrire ma prochaine histoire. Je n’accorde aucun crédit à ce qu’on puisse dire sur l’évolution de mes trente ans de carrière cinématographique.
Vous avez travaillé avec votre fille Ishana sur «Old». Dans ce film aussi?
Oui, elle était assistante réalisatrice sur «Old» comme dans «Knock at the Cabin». Dans ce film, Ishana a dirigé entièrement la séquence du tsunami. Elle a aussi écrit et réalisé plusieurs épisodes de la série «Servant». Elle a un talent fou.