#MetooAu Brooklyn Museum, Picasso entre critique radicale et regard féministe
Pour célébrer les 50 ans de la mort du peintre, Hannah Gadsby, humoriste australienne, et le musée de Brooklyn à New-York propose une nouvelle interprétation de ses œuvres.
Dans son spectacle «Nanette» sur Netflix, l’humoriste Hannah Gadsby éreinte la figure de Picasso, ce symbole de domination masculine qu’elle «déteste». Au Brooklyn Museum à New York, l’exposition sur le maître du cubisme porte sa patte, mais se veut plus nuancée et rend justice aux femmes qui n’ont pas connu la gloire de l’artiste espagnol.
«It’s Pablo-matic: Picasso selon Hannah Gadsby» (2 juin-24 septembre) est l’une des expositions attendues dans le cadre des nombreuses célébrations, sous l’égide de la France et de l’Espagne, des cinquante ans de la mort du peintre des Demoiselles d’Avignon (1907) et de Guernica (1937).
Pablo Picasso (1881-1973) reste l’un des artistes les plus influents de l’art moderne, volontiers qualifié de génie. Mais dans la foulée du mouvement #metoo, la figure de ce bourreau de travail à l’œuvre richissime est écornée par les accusations d’emprise, parfois violente, qu’il pouvait exercer sur les femmes qui ont partagé sa vie et inspiraient son œuvre.
Séparer l’homme de l’artiste? L’humoriste australienne Hannah Gadsby s’y refuse dans les commentaires écrits et audio qui accompagnent les œuvres exposées au musée de Brooklyn, dénichant dans les peintures ou dessins des symboles de misogynie. Ou pointant ce pénis au milieu de la toile «Le sculpteur» (1931), preuve selon elle que Picasso «ne pouvait pas lui-même se détacher de son art dans ses œuvres».
«Admiration et colère»
Catherine Morris, commissaire en cheffe du Centre pour l’art féministe du musée et co-commissaire de «Pablo-matic», propose une lecture plus mesurée.
«Vous êtes face à la situation vraiment complexe et nuancée d’un artiste qui est indiscutablement un génie, mais aussi un être humain tout sauf parfait», a-t-elle expliqué à l’AFP, lors d’une présentation à la presse où Hannah Gadsby n’était pas présente.
«L’admiration et la colère peuvent coexister», prévient aussi le préambule de l’exposition, organisée en coopération avec le Musée national Picasso de Paris, et qui veut revisiter son oeuvre sous un regard féministe.
Picasso au milieu des femmes, donc, mais pas celles qu’il a représentées dans ses toiles, plutôt des artistes de son époque. Elles «n’ont pas eu le même soutien ou accès aux structures institutionnelles qui ont favorisé le «génie» de Picasso», souligne Lisa Small, conservatrice principale pour l’art européen au Brooklyn Museum.
Le visiteur peut s’arrêter sur des dessins de nus des années 1930 de l’Américaine Louise Nevelson (1899-1988), «tout à fait révolutionnaires à l’époque parce qu’il est alors très difficile pour les femmes d’être admises dans les cours de dessin», explique Catherine Morris. Ou sur Käthe Kollwitz (1867-1945), figure de l’expressionnisme allemand «incroyablement talentueuse, tant sur le plan technique que sur le plan émotionnel», ajoute Lisa Small.
Sont aussi exposées les figures du mouvement d’art féministe américain, dont le Brooklyn Museum est à la pointe, comme l’Afro-Américaine Faith Ringgold ou les Guerilla Girls.
Ce mouvement, incarné par l’essai fondateur de l’historienne de l’art américain Linda Nochlin, «Pourquoi n’y a-t-il pas eu de grandes artistes femmes» (1971), avait pris son essor dans les années 70, durant la décennie qui a vu Picasso disparaître.
Cinquante ans après sa mort, «il y a des œuvres (de Picasso) incroyables dans cette exposition que j’aime toujours», souligne Catherine Morris. «Mon regret, c’est que Picasso a été en grande partie le seul artiste moderne qu’on m’a enseigné. Il y a une histoire beaucoup plus riche à explorer dont il peut faire partie», ajoute-t-elle.