Tadjikistan«Je n’en peux plus de cette poussière qui m’étouffe»
Recouverte d’un voile grisâtre, la capitale du Tadjikistan est une fois de plus frappée par une tempête de sable, un phénomène qui s’intensifie à travers l’Asie centrale.
L’air est sec et chaud, pourtant, dans le ciel de Douchanbé, le soleil ne perce que difficilement. Les imposantes montagnes entourant la capitale du Tadjikistan ne sont quasiment plus visibles et seules les silhouettes de quelques immeubles en construction se devinent à travers le nuage que forme la tempête de sable et de poussière (TSP).
Ce phénomène météo va crescendo depuis des années, et il n’y aucune raison de penser que la situation puisse s’améliorer. Les scientifiques ont quant à eux établi qu’avec le réchauffement de la planète, les évènements extrêmes (tempêtes, sécheresses, incendies, etc.) allaient se multiplier sur toute la planète.
Maladies cardiovasculaires
Les particules charriées par les TSP sont loin d’être anodines pour la santé et, dans la clinique Sofia de Douchanbé, les patients défilent. En 2022, le Tadjikistan est entré dans le top 10 des pays à l’air le plus pollué, selon la société de surveillance de la qualité de l’air IQAir. «Ces dernières années, je soigne de plus en plus de patients atteints de maladies cardiovasculaires», explique à l’AFP le docteur Faïçal Sakhraï, qui pointe du doigt les particules fines transportées par les TSP.
«Les plus grandes pénètrent dans l’organisme et se déposent dans les voies respiratoires supérieures, tandis que les plus fines pénètrent dans les voies respiratoires inférieures, puis dans les poumons, le cœur et d’autres organes», explique à l’AFP le docteur Sakhraï. D’après les Nations unies, 80% de la population tadjike est exposée aux niveaux les plus élevés de concentrations de particules fines PM2,5.
Si le docteur Sakhraï recommande à tous de boire abondamment et de porter un masque, les personnes se couvrant le visage se comptent sur les doigts d’une main dans les rues de Douchanbé, malgré l’air vicié. En dépit de ses «difficultés à respirer» et de ses «maux de tête», Nigora Ioussoupova, une psychologue, refuse ainsi de porter un masque, qui, selon elle, «gêne sa respiration».
Prise de conscience
Autrefois rares, les TSP commencent désormais au printemps et frappent jusqu’à la fin de l’automne, touchant la majeure partie de l’Asie centrale. «Dans les années 1990, il y avait deux ou trois phénomènes de TSP par an au Tadjikistan. Maintenant, il y en a jusqu’à 35», résume pour l’AFP Zebounisso Mouminzoda, la directrice de la filiale tadjike du Centre régional pour l’environnement en Asie centrale (Carec), une organisation semi-gouvernementale qui opère dans les cinq pays de la région (Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Turkménistan).
«En raison du changement climatique, les sécheresses prolongées mènent à la formation des TSP, en asséchant le sol, et les vents plus fréquents soulèvent ensuite cette terre», poursuit Mme Mouminzoda. Un désastre écologique en amenant un autre, ces tempêtes se forment notamment sur les fonds asséchés de la mer d’Aral, en Ouzbékistan, mais proviennent également des steppes kazakhes ou de l’Afghanistan voisin.
Mme Mouminzoda souligne l’impact dévastateur du «facteur humain», avec la «coupe des forêts, une irrigation irrationnelle et l’élevage toute l’année, qui dégrade les sols». Un cercle vicieux dans ce pays pauvre et essentiellement rural, où les TSP affectent négativement les rendements agricoles et la fertilité des sols. Pis, la poussière et le sable déposés sur les glaciers, une source d’eau cruciale pour une région qui commence à en manquer, «accélèrent leur fonte», rappelle M. Mouminzoda.
Si les relations entre les Etats centrasiatiques sont régulièrement émaillées de tensions, ils tentent néanmoins désormais de coordonner leurs efforts sur des questions environnementales comme la gestion de l’eau et la dépollution des déchets nucléaires. Mais la menace que représentent les TSP au Tadjikistan reste encore sous-étudiée «en tant que catastrophe naturelle», regrette le Carec.