Double homicide : La réclusion à vie requise contre l’assassin de Sorens (FR)

Publié

Double homicideLa réclusion à vie requise contre l’assassin de Sorens (FR)

Pour le ministère public, l’agriculteur fribourgeois, qui a massacré deux Macédoniens en mars 2020 pour une histoire de tracteurs, doit écoper de la peine maximale. La défense a plaidé 9 ans.

Evelyne Emeri
par
Evelyne Emeri
Transporté en fourgon cellulaire depuis la prison de Bellechasse, l’assassin des deux Macédoniens est jugé depuis lundi 6 février devant le Tribunal pénal d’arrondissement de la Gruyère à Granges-Paccot (FR).

Transporté en fourgon cellulaire depuis la prison de Bellechasse, l’assassin des deux Macédoniens est jugé depuis lundi 6 février devant le Tribunal pénal d’arrondissement de la Gruyère à Granges-Paccot (FR).

lematin.ch/Evelyne Emeri

Pas une excuse. Pas un regret. Pas une demande de pardon. Depuis l’ouverture de son procès lundi 6 février, le Fribourgeois de 33 ans n’a pas adressé un seul mot de réconfort à l’endroit de la famille des deux hommes qu’il a tué de sang-froid au soir du 24 mars 2020 dans une grange reculée appartenant à sa famille sur les hauts de Sorens (FR). Ajouter à cela, ses variations, ses trémolos dans la voix, ses larmes «parce qu’il n’a pas fait le bon choix» et son absence de pathologie psychiatrique attestée par les experts, la peine requise par le procureur Marc Bugnon n’a surpris personne ce mercredi 8 février. Il a du reste commencé par la sanction aux premiers instants de son réquisitoire tellement les faits sont parlants: ce sera la perpétuité pour double assassinat, atteinte à la paix des morts et escroquerie.

Préméditation et minutie

Pierre*, que tout accablait depuis le début (ndlr. il avait rapidement passé aux aveux), a admis mardi devant la Cour de la Gruyère «s’être complètement acharné sur eux». Abattre un père de 47 ans et son fils de 23 ans au fusil de chasse, leur fracasser le crâne avec son arme jusqu’à la briser, les placer dans un filet à foin avec une bouche d’égout pour les lester, les jeter dans une fosse à purin remplie d’eau et les recouvrir enfin de foin et de paille. «Parce que les corps n’étaient pas totalement immergés et étaient encore visibles.» Rappeler que le jeune père de famille était toujours vivant au moment de l’immersion. Un acharnement pour le moins établi, une préméditation qui ne fait plus aucun doute et une minutie qui fait frissonner.  

Culpabilité écrasante

Le criminel endetté a tué pour 34 000 francs, le montant de l’avance faite par les deux Macédoniens établis à Cugy (VD), qui attendaient la livraison de trois tracteurs que Pierre n’a jamais possédés. Par ses actes délibérés, il n’a pas seulement escroqué, il a surtout brisé deux familles, deux épouses et deux fratries. Pour le magistrat, la culpabilité du prévenu est écrasante: «L’histoire judiciaire de notre canton a eu son lot de crimes sordides commis par des individus atteints psychiquement. Ici, nous sommes face à une telle barbarie, à une telle sauvagerie pour des motifs inconsistants, pour une broutille, et perpétrée par un individu sain. Un carnage, pas d’un fou, pas d’un malade mental, pas d’un psychopathe, c’est rare. Sa responsabilité est pleine et entière. Les experts ne préconisent du reste pas de traitement. Vous ne rendrez la justice qu’en le condamnant à une peine privative de liberté à vie. Il y a une telle évidence».

«L’insondable futilité du mobile fait frémir»

Le procureur

«L’accusé n’est pas crédible. L’insondable futilité du mobile fait frémir. Cette rencontre à la grange n’a pas eu plus de succès. Il a continué à louvoyer. Il fallait dire qu’il n’avait pas les tracteurs, qu’il n’avait pas l’argent. S’il avait eu le modeste courage d’avouer cette malversation, il y aurait eu de la stupeur, de la colère, le dépôt d’une plainte sûrement et tout cela se serait soldé par une ordonnance pénale pour escroquerie. Et ça n’aurait pas eu le même retentissement que depuis trois jours», poursuit le procureur Marc Bugnon. «Chacun aurait continué le fil de sa vie à Cugy (VD), à Sorens (FR). Il n’a pas fait ce choix-là. Il a pris l’option de les liquider alors qu’il n’y a pas eu la moindre menace de la part des victimes. Il a pris sa décision trois semaines plus tôt avec l’achat du fusil.»

«Une détermination rare» 

«La scène de crime dispose d’une fosse, formidable pour un assassin. Pour les acheteurs, soit ils acceptent un délai pour le remboursement et ils vivent. Et s’ils renâclent, ils meurent, ça n’est pas plus compliqué que ça. Pierre n’avait même pas prévu de leur laisser la moindre chance. L’après-midi, il procède à l’ouverture de la fosse. Lors de la reconstitution, il y avait un silence et on voyait s’ouvrir cette fosse sombre, c’était glaçant. Il ne songe pas seulement à la manière de les tuer, mais à la manière de les dissimuler, c’est un niveau de préméditation exceptionnel. Il pense que les corps vont flotter. Il est extrêmement prévoyant. Il ne laisse transparaître aucun stress. Sa détermination est rare, une absence de scrupules qui distingue l’assassin du meurtrier», ajoute le représentant du parquet fribourgeois.

«C’est une version ignoble»

«Le 24 mars, le père et le fils entrent. Comment pouvaient-ils imaginer qu’il y avait un fusil de chasse acheté avec leur argent? Qu’une fosse est destinée à faire disparaître leurs cadavres? Peut-être ont-ils vu la plaque d’égout qui les lestera? Lui, il a le culot de prétendre que ce sont eux qui ont provoqué l’altercation. Le carnage, c’est de la faute du père. Il s’est senti menacé. C’est une version ignoble. Il rejette la responsabilité sur les deux victimes, détaille encore le procureur, Se faire mener en bateau et venir à la grange, il y aurait eu de quoi s’agacer en apprenant qu’il n’y a ni tracteurs, ni argent. Une seule chose est certaine, c’est qu’il a tiré d’abord sur l’un, puis sur l’autre. Ils étaient ainsi neutralisés, grièvement blessés. Tout au plus, ils pouvaient ramper. Ils espéraient fuir.»

«Mourir noyé, attaché au cadavre de son père»

Le procureur

«Il faut se représenter cette scène, d’échapper à la mort, les angoisses indicibles alors que le criminel va aller recharger son arme et s’en revient sur ses proies. Ils étaient à sa merci. La bestialité de l’accusé qui disloque leurs visages à coups de crosse. Je m’en veux de le rappeler ici. Mourir noyé, attaché au cadavre de son père. Le fils a souffert un véritable martyre, infligé intentionnellement par le prévenu. Une rage et une cruauté, on peine à imaginer comportement plus odieux de la part d’un homme. Après les faits, Pierre est calme, méthodique. Il fait disparaître les corps. Les emballe, les leste et les jette dans la fosse, ramasse les douilles. Le plus frappant, c’est à quel point il ne perd pas le nord. Il pense toujours à l’enquête qui s’ouvrira», relève toujours le ministère public.

«L’archétype de l’assassin»

«Juste après, Pierre essaie de brouiller les pistes en écrivant des messages à ses victimes. Il leur téléphone deux fois. Il s’est obstiné à dire qu’il ne savait plus ce qu’il faisait. On en reste pantois: il envoie un doux message à sa petite amie. Il ne se départira pas de ce sang-froid. Ni le lendemain matin quand la famille, qui s’inquiète de leur disparition, vient à Sorens. Il n’est pas impressionné par l’appel de la police vaudoise non plus (ndlr. il prétexte que la rencontre n’a pas eu lieu la veille). Idem avec la patrouille de la police fribourgeoise. Il n’a pas de remords, il n’a pas de repentance. Il est inexcusable. Nous nous trouvons en présence de l’archétype de l’assassin», conclut le procureur Marc Bugnon.

«On ne vit pas, on survit»

«Mes mandants ont déjà été condamnés le 24 mars 2020. Ils ont eu des paroles sincères. Leur colère, leur haine, c’est l’expression de leurs souffrances. On ne vit pas. On survit et tout cela avec un spectateur principal: l’assassin. Un carnage programmé où même la mort n’a pas été respectée. Avec comme chapitre final, les éliminer comme du bétail, entame Me Coralie Devaud, avocate de la famille macédonienne, Pierre n’a eu de cesse de mentir face à l’évidence des preuves. Il a sali la mémoire des victimes avec ses mémoires de détention. Les seuls faits à retenir sont ceux de l’acte d’accusation». La femme de robe de balayer les prétendues menaces des défunts, les prétendus propos vulgaires envers la petite amie du Fribourgeois, d’insister sur le florilège d’alibis. «Et qu’on ne vienne pas me parler de problèmes financiers. La grande vie pour deux vies. L’achat d’un fusil et d’un cheval (ndlr. pour sa bien-aimée)!» Avec les 34 000 francs versés d’avance par ses futures proies.

«Ils sont morts avec eux ce jour-là»

Me Coralie Devaud, avocate de la famille macédonienne

Me Devaud de décrire encore l’infamie et ses conséquences: «A 20h27, il vient de les exécuter. Et il envoie un SMS à son amie avec un émoji, un SMS au fils, il fait des téléphones aux morts… La détermination criminelle l’a emporté sur tout le reste. Deux vies humaines pour 34 000 francs. Dans ce double assassinat, il coche toutes les cases requises par la jurisprudence. La vie de mes clients a plongé dans l’obscurité. Il n’y a pas de barème dans le tort moral, ce sont des valeurs. La vie humaine est non mesurable. Leur vie a volé en éclats. Cette famille a perdu ses deux piliers. Ils sont morts avec eux ce jour-là. Leur vie a été mise sur pause». Elle requiert une somme globale de 150 000 francs pour les deux épouses et les fratries. «Je ne voulais pas finir sur un aspect financier, mais ma page est blanche, je n’ai pu mettre aucun mot sur leurs souffrances.»

«Il a un grand cœur»

Du côté de la défense, Me Alexandre Dafflon surprend par une plaidoirie où il s’identifie littéralement à son client. Sa voix tremblera plusieurs fois, ses yeux s’embueront et des larmes couleront: «Moi-même, je suis fils de paysan. Mon client s’est fait exploiter par son père. Depuis enfant, il a travaillé comme une bête 15 heures par jour, 8 jours par semaine. Une vache, ça vaut plus qu’un enfant sur une ferme, m’a expliqué mon propre père. Il est seul, il est taiseux, c’est le cheval qui tire l’exploitation. C’est un très mauvais financier, il n’a jamais appris. Le SMS de la veille (ndlr. «Bonjour Monsieur… cette fois je suis vraiment sérieux…»), c’est l’étau qui se resserre, le compte à rebours. Ce n’est pas quelqu’un de froid, il a un grand cœur. Il n’a pas supporté que l’on reluque sa copine et que des propos sur son physique soient tenus. Elle a un physique avantageux».

«Il a agi pour sauver sa peau et l’intégrité de sa copine»

Me Alexandre Dafflon, avocat de Pierre*

L’affirmation de Me Dafflon que les deux Macédoniens auraient exercé des pressions 48 heures seulement après le versement du solde des 34 000 francs fait hurler le fils et frère des deux hommes massacrés. Qui quitte la salle d’audience. Le reste de la famille suivra. Impossible pour eux que leur mémoire soit salie. «Laissez-moi faire mon travail, justifie l’homme de loi, Je comprends mieux ce que Pierre a subi.» Et de continuer: «Il ne sait plus comment faire. Il a fait ses préparatifs, une mauvaise défense bien sûr. Pas de légitime défense, mais une défense excusable. Il a agi pour sauver sa peau et l’intégrité sexuelle de sa copine. Il n’invente pas quand il dit qu’il a été «déraciné» par le père (ndlr. attrapé et jeté au sol) et invectivé au sol. Il a été poursuivi pour en découdre». Et de plaider précisément la défense excusable et d’exhorter la Cour à condamner son client à 9 ans pour meurtre.

Le verdict sera rendu le 1er mars prochain.

*Prénom d’emprunt

Ton opinion