Wimbledon 2023Djokovic en fait trop, Coco Gauff a le look
Si Londres est réputé pour ses comédies musicales, l’exercice médiatique imposé d’avant-tournoi à Wimbledon n’a rien à leur envier. Morceaux choisis parmi les meilleures performances.
- par
- Florian Müller Wimbledon
Ici, tout le principe est résumé dans l’appellation du lieu: «Media Theatre». Une petite scène à la lumière trop crue où des marionnettes s’agitent derrière un pupitre. On est assez loin de la Commedia dell’Arte et de ses pantalonnades: pas d’éclats de voix, de rires gras ou de chaudes larmes. Ici, le texte se lit dans le verbe fin, les sous-entendus, sinon les sourires en coin, face à un parterre souvent déjà acquis à la cause, qui cultive avec jalousie les bienfaits de l’entre-soi.
En cette veille de tournoi, les stars sont agendées à la chaîne en prime time, dans un écrin flambant neuf, au dernier étage du «Media Pavillon»: fauteuils en cuir brodés du logo du tournoi, acoustique parfaitement travaillée, loges latérales pour les nantis. Oubliez la Scala, la Fenice ou la Comédie Française: bienvenue sur le «big stage» de Wimbledon, là où les as du tennis s’essayent au jeu d’acteur.
La plus stylée: Coco Gauff
Coco Gauff ouvre le bal, démarche nonchalante mais clairement étudiée: veste denim oversize, tresses parfaitement ajustées, mais tout de même du blanc en clin d’œil à la tradition. Tout est dans le look, Coco, puisqu’elle enchaîne très vite les banalités. «Je suis ravie d’être ici», «J’espère faire de mon mieux», «Wimbledon est si plaisant». On désespère.
Jusqu’au moment où un journaliste bien inspiré la lance sur sa relation avec Venus Williams. Ses yeux s’embuent légèrement, le ton devient solennel. Pour raconter ce jour de juillet 2019, où la jeune prodige avait éliminé sa glorieuse aînée sur le gazon londonien. «Tout le match était surréaliste, raconte l’Américaine. Après la balle de match, lorsque je me suis avancée vers le filet pour lui serrer la main, j’avais l’impression d’être dans un film, toutes les images passaient au ralenti. Une sensation incroyable, c’était vraiment un privilège dans ma vie d’avoir pu jouer contre elle ici. L’amour qu’elle a pour le tennis, c’est ce qu’il y a de plus inspirant. Si je joue encore à son âge (ndlr: Venus Williams a déclaré vouloir jouer jusqu’à 50 ans), ce sera parce que j’aime le tennis autant qu’elle.»
Verdict: ça avait mal commencé mais au final une prestation touchante, sincère dans la nuance, rien de surjoué.
Le plus british: Andy Murray
Avec son pull à capuche et sa mine déconfite, Andy Murray donne l’impression d’être déjà au bout du rouleau avant même le début du tournoi, bien qu’il s’estime en «très bonne forme» dans un râle monocorde. Ici, l’idée est de se donner un genre, quelque peu faussement négligé. «Je m’en fous d’être là mais pas tellement quand même», semble-t-il dire lorsqu’il s’avance lentement sur scène. L’aisance n’est pas feinte, ce garçon sait jouer avec l’assistance pour établir un rapport de complicité. Il se sait attendu et répond présent, fidèle à son répertoire.
C’est tout l’art du comique britannique qui s’exprime ici, pince-sans-rire mais carrément abrasif. On est plus proche de Ricky Gervais que de Benny Hill, la foule en redemande. Lorsque vient le moment d’évoquer son inexorable fin de carrière, le ton devient plus solennel. «C’est peut-être la dernière fois que je suis ici, on ne sait jamais, alors il s’agit d’en profiter. Wimbledon, c’est l’endroit le plus important dans ma carrière. J’ai une petite idée dans ma tête en ce qui concerne le moment où j’aimerais arrêter, mais rien n’est définitif, alors je ne vais pas en parler. En tout cas, ne comptez pas sur moi pour annoncer la date une année à l’avance comme Rafa Nadal.»
Verdict: du second degré, de l’assurance, de la sincérité, quoique très attendu.
Le plus surjoué: Novak Djokovic
Le clou du spectacle, assurément, du haut de ses 23 Grands Chelems. Novak Djokovic est connu pour adorer l’exercice des conférences de presse. Dans son survêtement blanc, par respect pour la solennité du lieu, il caresse la presse dans le sens du poil, acquiesce du chef à chaque intervention de l’assemblée. À coups d’«excellente question» ou de «vous avez raison de soulever ce point». Peut-être l’expression de son ardent désir d’être aimé par ses pairs. «J’ai toujours des yeux de gamin quand j’arrive à Wimbledon, le plus grand tournoi du monde.» L’homme essaye de mettre du pathos dans ses phrases, de l’émotion dans sa voix, de jouer la compassion ardente, lui à qui on reproche si souvent d’être robotique sur le court. Alors il fait tout pour s’humaniser, parle volontiers de sa famille, de ses activités en dehors du tennis, qui finalement ne diffèrent pas tant de celles du commun des mortels.
Malgré tous ses trémolos, Djoko récite au final une partition assez convenue. «J’ai encore faim», «Je veux donner le meilleur de moi-même». Au détour des verbes édulcorés, un mot ressort du lot, comme une faille dans la garde: Wimbledon est sa prochaine «tâche» (ndlr: «task» en anglais dans le texte). Cela a au moins le mérite de décrire l’intensité mentale qu’il injecte dans sa quête de performance - Novak Djokovic, même s’il s’efforce de sourire, n’est pas là pour rigoler.
Verdict: l’envie de bien faire ne suffit pas à dissimuler un jeu finalement assez calculé pour ne pas dire calculateur.
Le plus naturel: Daniil Medvedev
Daniil Medvedev est le dernier nom sur l’affiche. L’homme se fait attendre, la salle grogne - elle a apéro dans la foulée. «Désolé pour le retard», souffle-t-il en glissant sa grande carcasse derrière le pupitre. Avant de commenter: «Oh, c’est nouveau ici». Sympa, c’est le premier à remarquer la fraîche configuration des lieux, preuve qu’il porte une vraie attention à son environnement. Le garçon donne de sa personne, dans une générosité non feinte, et met volontiers des couleurs dans l’intonation. «J’ai toujours adoré le gazon, mais les résultats ne sont pas d’accord avec moi, se marre-t-il, avant de reprendre de l’épaisseur. C’est un truc unique, Wimbledon: ici, dès qu’on arrive, on voit que tout est parfait, que chaque pétale de fleur est arrangé, on comprend directement que c’est le meilleur endroit du monde pour jouer au tennis. Le seul problème, c’est que quand on perd, on est d’autant plus énervé de devoir partir.»
Le Russe prend sincèrement le temps de répondre de manière complète et attentionnée même aux questions bêtes. Il fait preuve d’une patience insoupçonnée, lui qu’on voyait plutôt taciturne. «Je sais que je peux m’énerver sur le court et perdre l’appui du public, mais ça peut aussi tourner dans l’autre sens suivant comment, déroule-t-il. Mais je sais que si je ne suis pas sincère, le public va le sentir. Alors je préfère être authentique.» Même sur les sujets qui fâchent, le bougre arrive à se montrer avenant. «Si vous avez des questions politiques, je suis d’accord de répondre, même si ça ne va pas plaire à tout le monde, lance-t-il sans crier gare. Mais si un joueur ne veut pas se faire entendre sur ces questions, il faut aussi le respecter. Moi, je suis pour la paix. Et surtout, je suis content de pouvoir jouer cette année», lui qui avait été interdit de tournoi l’année passée comme tous les autres athlètes russes et biélorusses.
Verdict: naturel, souriant, spontané, une belle partition qui mériterait un capital sympathie plus important auprès du public.