CommentaireQu’est-ce que cette «grosse Suisse molle»?
La comparaison de l’eurodéputée Nathalie Loiseau nous renvoie une étrange image de notre pays sur la scène européenne. Même si ce n’est pas très sympa, c’est un peu mérité.
- par
- Eric Felley
Dans un entretien accordé au journal français «Le Point», en fin de semaine dernière, l’eurodéputée et ancienne ministre française Nathalie Loiseau a dit que face aux bruits de bottes à la frontière ukrainienne: «L’Europe ne peut pas se contenter d’être une grosse Suisse molle». La vulgarité de la remarque en a surpris plus d’un. L’Ambassade de Suisse à Paris s’est fendue d’un tweet pour rappeler que depuis des décennies la Suisse œuvrait «pour la paix et la sécurité, en Europe et dans le monde. Avec discrétion et détermination, aux côtés de nos partenaires, comme la France et l’UE, et dans les enceintes multilatérales».
Sur Twitter, la comparaison de Nathalie Loiseau a provoqué beaucoup de réactions françaises outrées: «Le peuple de France vous présente ses excuses», «Pardon à la Suisse», «Chers amis suisses, nous sommes atterrés par les propos de cette personne…» ou encore «Merci pour votre bienveillance. Cette personne ne représente qu’elle-même et en aucune façon l’opinion des Français».
Cette comparaison désobligeante pour la Suisse doit pourtant être prise au sérieux. On aurait tort de n’y voir qu’une boutade sortie par hasard. C’est le résultat des tergiversations de la Suisse depuis des années dans le dossier européen, jusqu’à l’abandon de l’accord-cadre l’année dernière. C’est cela qui nous vaut ce caractère de «mollesse» ou d’indécision qu’il nous faut bien assumer.
La demande de Lavrov
Simultanément à la parution de cet entretien dans «Le Point», on a appris que le ministre des Affaires étrangères russes, le très ombrageux Sergueï Lavrov, a demandé à la Suisse de se positionner dans la crise ukrainienne. Réponse du président Ignazio Cassis: «Les lettres font partie des instruments diplomatiques normaux. Lavrov a envoyé la même lettre à différents pays. L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe est donc la plateforme appropriée pour discuter des préoccupations russes.»
Équilibres difficiles
Autant dire que pour les Russes, c’est une non-réponse de Berne, ou une réponse «molle». On mesure en ce moment toute la difficulté du positionnement neutre de la Suisse: acheter des avions aux États-Unis, commercer avec la Chine, ne pas froisser la Russie, ménager l’Union européenne. C’est un exercice permanent d’équilibriste, où il faut s’abstenir de toute position qui pourrait nous valoir des représailles des uns ou des autres.
Pour cela, Ignazio Cassis est parfait dans l’exercice. Ainsi a-t-il déclaré dans la presse dominicale, au sujet de l’évolution de nos relations avec l’UE: «Il faut sans doute une approche plus large des négociations, dans laquelle des concessions sont possibles de part et d’autre et dans laquelle les éventuels désavantages dans la dimension institutionnelle sont compensés par des gains matériels dans des domaines politiques importants.» Tout est dit!
On veut bien, que la diplomatie est l’art de tourner des phrases qui n’engagent à rien. Mais, au bout d’un moment, il faut quand même présenter quelque chose de tangible. Sinon on finit par se tailler une réputation, où l’excès de prudence devient synonyme au mieux de mollesse, au pire de lâcheté.