ImmigrationAu bord du Rio Grande, les migrants haïtiens vivent dans la peur
Quelques centaines d’Haïtiens se sont installés dans un refuge de fortune à Ciudad Acuña. Seul le Rio Grande les sépare des États-Unis.
Marie Chickel a passé la nuit éveillée, dans la peur. À tout moment, elle craignait que ne surgissent les agents d’immigration et qu’ils ne la renvoient avec ses jumeaux de dix ans serrés contre elle sur un carton. «J’ai entendu dire que les agents allaient arriver. Je n’ai pas pu fermer l’œil. S’ils me trouvent, je ne sais pas où j’irai», se lamente cette femme de 45 ans.
La rumeur concernant cette possible descente s’est répandue comme une traînée de poudre à l’aube, mercredi, dans le parc Braulio Fernandez de Ciudad Acuña. C’est ce vaste terrain que quelques centaines d’Haïtiens, à l’instar de Marie, ont transformé en refuge de fortune, coupé du territoire américain uniquement par le Rio Grande.
La plupart des personnes réfugiées ici ont abandonné l’idée de rester sous le point de passage international reliant Acuña à Del Rio aux États-Unis. Ils sont à bout de forces, terrorisés à l’idée que la patrouille frontalière les arrête et les expulse immédiatement vers Haïti.
Arrestations et descente
Marie et des centaines d’autres personnes évitent autant que possible de quitter le parc. Dans les rues, la police mexicaine et les agents de l’immigration patrouillent. À tout moment, ils peuvent décider de procéder à des arrestations, à faire des descentes dans les hôtels du coin.
Les journalistes de l’AFP ont été témoins de l’une de ces opérations dans la nuit de mardi à mercredi, au cours de laquelle les membres, apparemment, d’une seule famille, dont deux jeunes enfants, ont été arrêtés dans un hôtel du centre-ville. De là, ils ont été escortés par des soldats de la Garde nationale mexicaine et embarqués dans des fourgons de l’Institut national des migrations.
Pour arriver jusqu’ici, Marie Chickel et ses enfants ont quitté le Chili et traversé presque toute l’Amérique du Sud et l’Amérique centrale avant d’arriver à Tapachula, à l’extrême sud du Mexique, le 11 juillet. «Mon cœur se serre à cause de mes enfants. Pour eux, je joue le rôle de père et de mère. Quand je vois qu’ils ne peuvent pas bien dormir, pas bien manger, pas aller à l’école… C’est très dur», confie-t-elle.
D’une voix tremblante, elle avoue que sa plus grande crainte est d’être séparée de ses enfants, et son désir le plus grand est de retrouver vite sa sœur qui vit à Boston (nord-est des États-Unis). Mais Marie, qui travaille dans un laboratoire médical avec en mains un diplôme d’infirmière, se dit prête à saisir les opportunités qui pourraient se présenter. «Si je ne peux pas traverser le Rio et si je peux trouver des papiers ici pour travailler, pour envoyer mes enfants à l’école, je pourrai remercier le Seigneur», dit-elle en étouffant un sanglot.
Dans ce climat d’incertitude et d’anxiété, ces migrants haïtiens trouvent un peu de réconfort dans la générosité spontanée des habitants de Ciudad Acuña, qui se sont organisés pour leur apporter de la nourriture, des boissons, des vêtements et des produits pour se laver.
«Frères haïtiens»
«Les Mexicains nous donnent de la nourriture, des vêtements et maintenant nous avons un endroit pour dormir. La seule chose, c’est que nous avons peur des autorités d’immigration parce que nous sommes ici sans papiers», explique Kabelo Joseph, 29 ans, qui est également arrivé du Chili avec deux enfants de 7 et 9 ans et sa femme, enceinte de six mois. «Nous avons décidé de rester ici pendant deux ou trois mois si la migration ne nous dérange pas car nous sommes bien», ajoute-t-il.
Haydée Briceño, une vendeuse ambulante de vêtements usagés importés des États-Unis, présente à des migrants sa marchandise qu’elle sort du coffre de sa voiture. Trois femmes choisissent des vêtements. «Nous allons donner un peu de ce que nous avons pour nos frères et sœurs haïtiens», dit-elle.
Un autre groupe, composé de six membres d’une église locale appelée «Luz de Vida», est venu avec des thermos de boissons et des sandwiches, à partager avec les réfugiés. «Je suis passé par des contrées où il n’y avait personne pour aider. Croyez-moi, c’est très, très difficile», confie le pasteur Roberto Montaño, 33 ans, qui a aussi vécu comme un immigrant sans papiers aux États-Unis, il y a plusieurs années.
Marie est très reconnaissante. «Je suis très heureuse et je remercie le Seigneur car ces gens ont un cœur, ils ne nous laissent pas mourir ici sans nourriture», dit-elle.