SoutienNetflix main dans la main avec le temple des cinéphiles
Le géant du streaming devient mécène de la Cinémathèque française et proposera bientôt des thématiques plus pointues. Décryptage avec la Cinémathèque suisse.

Netflix va soutenir financièrement la Cinémathèque française à travers de nombreuses activités.
DRVoilà déjà quelques années que le temple de la cinéphilie mondiale, la Cinémathèque française, et Netflix, la plateforme de streaming pourtant accusée d’être l’ennemi juré des salles de cinéma, ont commencé à se faire des mamours. D’abord en s’associant, en 2019, pour assurer la restauration d’une pièce maîtresse de l’histoire du cinéma: le «Napoléon» d’Abel Gance. Un film muet de 1927, d’une durée de 7 heures, dont le titanesque travail de rafistolage doit justement prendre fin en décembre de cette année. Deux ans plus tard, les deux entités avaient remis le couvert pour cette fois organiser une rétrospective de films marqués du label N rouge au sein de la prestigieuse institution cinématographique.
Troisième étape, et non la moindre, Netflix et la Cinémathèque française viennent d’annoncer en grande pompe un programme de «Grand mécénat» étendu sur trois ans. Concrètement, le premier va ainsi soutenir financièrement le second à travers de nombreuses activités. D’abord dans le cadre des expositions temporaires proposées par l’institution en s’occupant de créer des collections thématiques de films en rapport. À commencer par celle consacrée à la cinéaste française Agnès Varda, à l’occasion de l’exposition «Viva Varda» prévue à partir du 11 octobre prochain dans les murs de la Cinémathèque.
Un Netflix plus pointu
La plateforme de streaming sera aussi chargée d’organiser des événements parallèles, comme des avant-premières ou des masterclass avec de grands cinéastes. Ce qu’elle a d’ailleurs déjà fait par le passé avec David Fincher ou Damien Chazelle. Netflix va aussi devenir le partenaire officiel du Festival international du film restauré Toute la mémoire du monde (https://www.cinematheque.fr/cycle/toute-la-memoire-du-monde-2023-1071.html) et y présentera certaines œuvres de son catalogue. Enfin, cerise sur le gâteau, il est même annoncé une participation à l’enrichissement du musée de la Cinémathèque à travers le don d’«objets, maquettes, scénarios, éléments de décors, costumes ou archives de films Netflix».
Frédéric Bonnaud, directeur de la Cinémathèque française, s’est ainsi réjoui de cette collaboration à travers un communiqué de presse publié sur le site de la plateforme: «Ce Grand mécénat traduit le renforcement d’une collaboration amicale initiée il y a plus de 5 ans. Il accroît la capacité de la Cinémathèque française d’offrir, à un large public, un accès privilégié à de grands réalisateurs et acteurs internationaux et de transmettre, aux jeunes générations, le goût du cinéma».
En soi, le cahier des charges est donc plutôt séduisant. On salue même l’audace de bientôt proposer du Agnès Varda sur la plateforme et d’ouvrir ainsi des portes sur un univers avec lequel les abonnés ne sont pas forcément familiers. Et on se réjouit déjà de bientôt y trouver d’autres œuvres tout aussi pointues, celles de Satyajit Ray, Nobuhiko Obayashi ou Frederick Wiseman par exemple.
Tensions avec la chronologie des médias
L’association entre ces deux univers a priori antinomiques avait toutefois fait grincer pas mal de dents à l’époque de la rétrospective de films Netflix organisée à la Cinémathèque française, ainsi qu’à l’institut Louis Lumière de Lyon, en 2021. La Société des réalisateurs de films (SRF) était notamment montée au créneau en accusant les deux institutions françaises de mettre en péril l’avenir des salles de cinéma et de transformer leur enseigne en «une vitrine promotionnelle de Netflix pour lui faire gagner des abonnements». Il est vrai qu’en France, le débat sur la chronologie des médias, qui interdit donc à la plateforme de diffuser un film moins de 15 mois après sa sortie en salles, rend les rapports plutôt houleux.

Alors pour avoir un éclairage neutre sur la question, on s’est tourné vers la Cinémathèque suisse, et plus particulièrement son directeur, Frédéric Maire: «Au risque de me faire azorer par les Français, je trouve cette association assez séduisante, nous confie-t-il. Netflix a déjà montré un penchant cinéphile en produisant les films de certains auteurs qui ne trouvaient plus de financement auprès des grands studios, comme Martin Scorsese ou Alejandro González Iñárritu ou Guillermo del Toro, et tant que la Cinémathèque ne se transforme pas en programmateur exclusif de films de la plateforme en stoppant son propre travail, le partenariat peut créer des liens intéressants, que ce soit à travers des apports de contenu ou de rencontres organisées avec différentes stars…».
«Une aubaine pour la Suisse»
Reste à voir si cette opération sera accessible à l’étranger ou limitée au seul marché français. Car ces dernières années, Netflix France a inclus à son catalogue des collections passionnantes – François Truffaut, Jean-Paul Belmondo ou encore Jacques Demy – mais sans qu’aucune ne soit disponible sur la version helvète de la plateforme. L’arrivée de la Cinémathèque dans l’équation pourrait toutefois changer la donne.
«Pour nous, Suisses, poursuit Frédéric Maire, ce serait même une aubaine si le fruit de cet accord se retrouvait disponible chez nous parce qu’on manque cruellement de films du patrimoine étrangers, sur nos plateformes de streaming. Avec les films nationaux, on est bien servi puisque la Cinémathèque suisse collabore avec des sites comme Filmo, Filmingo ou Blue. Mais pour tout ce qui est films étrangers, on est pauvre! En France, c’est le luxe de ce côté-là avec plusieurs plateformes pourtant accessibles depuis des pays comme la Belgique, l’Allemagne ou l’Autriche, mais pas depuis chez nous. Prenez «La règle du jeu», de Jean Renoir, qui vient pourtant d’être restauré par la Cinémathèque française en collaboration avec la Cinémathèque suisse: le film n’est pas disponible chez nous».
La Cinémathèque suisse: pas assez glamour pour Netflix
Sur la base de cet accord, rêvons alors un peu: et si Netflix venait maintenant toquer à la porte de la Cinémathèque suisse pour lui proposer un accord similaire? «Je serai totalement ouvert, s’enflamme Frédéric Maire! Surtout s’il est question de rendre notre cinématographie accessible à l’étranger. Après, je ne suis pas sûr qu’on les intéresse autant que la Cinémathèque française. Nous n’avons pas le même prestige. Si Chanel est un autre des grands mécènes de la Cinémathèque française, c’est parce qu’ils ont les moyens de s’acheter la renommée de celle-ci. Et inversement: la Cinémathèque en profite pour se parer des bijoux et des senteurs du groupe de haute couture. Il y a un échange d’image important et je doute que celle de la Cinémathèque suisse les séduise assez. Dommage parce qu’en termes de collection, on est plus riches qu’eux!»